Nouvelle

Une question de choix

Écrivaine

Les cheveux comme histoire intime, comme signe de reconnaissance, comme enjeu politique – c’est le thème de la résidence d’écriture en Seine-Saint-Denis sur lequel se penche Estelle-Sarah Bulle en ce moment. Invitée du festival littéraire Hors limites, qui se tient dans les bibliothèques du 93 jusqu’au 30 mars, elle nous a confié cette nouvelle inédite.

Les cheveux de l’assistante sociale avaient été rendus secs et ternes par les décolorations successives, mais ils étaient encore suffisamment épais pour former un carré miel autour de son visage fatigué. Quelques mèches plus claires le long des pommettes atténuaient son air indéniablement raboteux, mais la mince coupure rose des lèvres décourageait les visiteurs. En réalité, Roseline Thomas – c’était le nom de l’assistante sociale – pensait depuis un certain temps à se faire poser des extensions blondes, mais elle hésitait encore : trop longues, les mèches lui donneraient l’air de sortir d’une émission de télé-réalité, ce qui n’était pas pour lui déplaire en soi, mais elle se demandait si cela lui ferait perdre de l’autorité sur les usagers qu’elle recevait toute la journée dans son bureau (une majorité de femmes, dont une sur deux portait des extensions masquant leurs cheveux crépus). Trop courtes, on ne verrait peut-être pas la différence, et alors à quoi bon investir le quart de son salaire pour un résultat invisible ? Roseline Thomas prit encore quelques minutes pour feuilleter le dossier d’Angela Vaneyreau, dont elle relut le nom afin d’éviter les erreurs de prononciation.

Angela soupçonnait l’assistante sociale de ne rien lire du tout ; agiter des feuilles sur un bureau était juste une pauvre tactique de plus pour donner le change, tout comme l’avait fait l’assistante précédente, et celle encore d’avant. Elle attendait patiemment, droite sur sa chaise, son sac à main usé et son bonnet posés sur ses genoux. Elle tirait nerveusement un brin de laine du bonnet. L’hiver, il faisait toujours froid dans ces bureaux minables où la couleur grisâtre des murs n’avait pas changé depuis des lustres. En fait, elle ne se souvenait pas que la peinture ait changé depuis la première fois où elle avait poussé les portes des services sociaux pour réclamer un logement potable, ce qui remontait à une bonne dizaine d’années.

Évidemment, pensa Angela en regardant l’assistante social


Estelle-Sarah Bulle

Écrivaine