Récit (chantier)

Doli me tangere

Critique

Rose Vidal travaille depuis quelque temps en tant qu’artiste sur la douleur – et les anti-douleurs. On a pu lire, dans les colonnes d’AOC, comment elle les approche dans les œuvres des autres. Dans cet extrait de son livre en cours d’écriture, c’est son œuvre à elle qu’on voit s’élaborer : une parole qui déroule ses fils, sous forme de texte ou d’installation, à la recherche de la douleur, de sensations primaires, chez soi, chez autrui, passant de l’un à l’autre. Chapitre inédit de Drama doll.

Insupportable, la douleur… mais pas seulement pour la personne qui la vit, aussi pour celle qui la voit, en face. Et par voir je veux dire entendre, constater, reconnaître, identifier, l’ache-knowledgement dont je parlais plus haut. Le Docteur dit que la douleur est une mise en demeure, dès lors qu’on la regarde, et que c’est proprement cela qui est inassumable. La douleur : comme si c’était un poids et qu’il y avait cette menace que je dusse le porter sur mes propres épaules, comme une injustice à endosser le fardeau qui ne m’appartient pas. Douleur, ne me touche pas. N’entre pas en ma demeure.

Pourtant ce n’est pas contagieux, la douleur. Et si ça l’était, imagine : tu croises dans la rue une femme qui souffre. Quand tu rentres dans son périmètre, quand elle rentre dans ton champ de vision ou passe derrière toi dans le métro, au moment où tu respires le courant d’air de son passage, tout d’un coup tu sens tout ce qu’elle sent de douleurs. Pas le sol sous ses pas, le molletonneux de son manteau, la chaleur de son bonnet ou la légèreté de son t-shirt, mais la pointe de la baleine de soutif qui au bout d’une journée lui comprime la poitrine. Puis la douleur dans ses reins de son SPM, des règles qui s’annoncent ; ou alors la douleur diffuse de ne pas les avoir, ses règles, soit qu’elle s’en inquiète ponctuellement soit qu’elle accueille l’angoisse d’un symptôme qui la contrarie. À mesure que tu marches dans la rue, tu croises toute la misère du monde, tu te rends compte de ce à quoi tu échappes, ou tu reconnais des choses que tu as vécues, vis ou vivras. Tu te rends compte que certaines personnes, et certaines classes, catégories, communautés de personnes en prennent beaucoup plus sur la gueule que les autres. Dans ces conditions-là, peut-être qu’un syndrome existerait d’une peur bleue de mettre le pied dehors et de croiser le monde. Peut-être que les gens qui ressentent plus fortement les histoires des autres ont déjà plus que d’autres la boule au ventre à l’idée de


Rose Vidal

Critique, Artiste