Cinéma

Sébastien Lifshitz : « Montrer des individus de la vie courante comme des héros et des héroïnes »

Journaliste

Passé depuis plusieurs longs métrages au cinéma documentaire, Sébastien Lifshitz pratique le genre de manière singulière, sans considérer que la réalité serait déjà-là, prête à filmer. Avec Madame Hofmann, il s’est une nouvelle fois donné des moyens plus proches du cinéma de fiction pour construire l’histoire d’une infirmière marseillaise proche de la retraite, après 40 ans d’hôpital public.

Le nouveau film de Sébastien Lifshitz accompagne une phase importante de l’existence de celle qui lui donne son nom. Cadre infirmière dans un hôpital marseillais, Sylvie Hofmann soufre des conséquences d’une charge de travail toujours excessive, y compris après le pic de la crise du Covid. Elle s’apprête à prendre une retraite « bien méritée », comme on dit, mais dont elle n’est pas sure d’avoir si envie que cela, alors qu’elle sait qu’elle en a besoin. Au travail ou avec ses proches, le cinéma selon le réalisateur d’Adolescentes[1] et de Petite Fille[2] ouvre un accès sensible aux ressorts qui meuvent une femme ayant dédié sa vie aux autres, à son intelligence des situations, à son énergie et aux émotions parfois contradictoires qu’elle éprouve. Grâce aussi aux interactions avec ses collègues et avec ses proches, c’est l’histoire d’une femme et un état du monde qui éclaire le grand écran. JMF 

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En regardant Madame Hofmann, on a plus souvent l’impression d’être dans un film de fiction que devant un documentaire.
Très souvent les spectateurs de mes documentaires m’ont dit avoir cru être face à un film de fiction, puis avoir éprouvé un moment d’interrogation quand, dans le cours de la projection, ils s’aperçoivent, ou même se souviennent qu’il s’agit d’un documentaire. Ce qui me convient très bien. Il faut se souvenir qu’un documentaire mobilise toujours, au moins en partie, une écriture de fiction. Dès lors qu’on installe une caméra dans un endroit, on modifie le cours de ce qui se passe. Pour moi le cinéma, c’est avant tout l’affirmation d’un point de vue face à une situation et à des personnes. Face à elles mais aussi avec ces personnes. À cet égard, il n’y a pas de fossé entre documentaire et fiction.

Mais vos documentaires vont beaucoup plus loin que la plupart des réalisations documentaires.
En effet, j’intensifie cette approche par rapport à ce qui se fait généralement, au moins de deux façons. D’une part je refuse de prétendre avoir un point de vue ob


[1] Adolescentes (2019) suit pendant cinq ans l’existence d’Emma et Anaïs, du lycée où elles sont amies bien qu’issues de classes sociales très différentes à leurs débuts dans la vie professionnelle pour l’une, universitaire pour l’autre, ainsi que les relations avec leurs proches, leur vie sentimentale, etc.

[2] Petite Fille (2020) accompagne Sasha, 10 ans, qui se vit comme une petite fille bien que née physiologiquement comme garçon, et sa famille, engagées ensemble dans la construction des possibilités de vie selon le désir intime d’une personne.

[3] Dans le cas de Madame Hofmann, Elio Balezeaux, François Abdelnour, Etienne Crepin.

[4] Avec Léa Seydoux, Yannick Rennier, Théo Frilet, Pierre Perrier, Nicole Garcia, Plein Sud est un road movie dans le midi de la France et en Espagne confrontant quatre jeunes gens en empruntant aux codes du thriller et du western.

[5] Sorti en 2012, Les Invisibles propose de rencontrer onze personnes très différentes entre elles mais toutes âgées de plus de 70 ans et ayant vécu au grand jour leur homosexualité dans une société française répressive et rétrograde.

[6] Bambi raconte l’existence, les combats et les choix de vie de Marie-Pierre Pruvot, venue au monde en Algérie en 1935 avec le prénom de Jean-Pierre, qui a choisi son genre et son sexe. Des cabarets du Paris des années 1950 sous le nom de Bambi à l’Éducation nationale, elle est une figure de l’affirmation transgenre. Le film sorti en 2013 a ensuite été montré à nouveau dans la forme voulue par Sébastien Lifshitz en 2021 sous le titre Bambi : une femme nouvelle.

[7] En 2016, Sébastien Lifshitz a été le commissaire de l’exposition « Mauvais Genre », composée de photos amateurs consacrées au travestissement et présentée aux Rencontres de la photographie d’Arles, puis dans plusieurs galeries dans le monde, et qui a donné lieu à un livre (Éditions Textuel). La même année paraît aux éditions Steidl un coffret de quatre livres sous le titre Amateur, entièrement réalisé à partir de

Jean-Michel Frodon

Journaliste, Critique de cinéma et professeur associé à Sciences Po

Rayonnages

CinémaSanté

Mots-clés

Covid-19

Notes

[1] Adolescentes (2019) suit pendant cinq ans l’existence d’Emma et Anaïs, du lycée où elles sont amies bien qu’issues de classes sociales très différentes à leurs débuts dans la vie professionnelle pour l’une, universitaire pour l’autre, ainsi que les relations avec leurs proches, leur vie sentimentale, etc.

[2] Petite Fille (2020) accompagne Sasha, 10 ans, qui se vit comme une petite fille bien que née physiologiquement comme garçon, et sa famille, engagées ensemble dans la construction des possibilités de vie selon le désir intime d’une personne.

[3] Dans le cas de Madame Hofmann, Elio Balezeaux, François Abdelnour, Etienne Crepin.

[4] Avec Léa Seydoux, Yannick Rennier, Théo Frilet, Pierre Perrier, Nicole Garcia, Plein Sud est un road movie dans le midi de la France et en Espagne confrontant quatre jeunes gens en empruntant aux codes du thriller et du western.

[5] Sorti en 2012, Les Invisibles propose de rencontrer onze personnes très différentes entre elles mais toutes âgées de plus de 70 ans et ayant vécu au grand jour leur homosexualité dans une société française répressive et rétrograde.

[6] Bambi raconte l’existence, les combats et les choix de vie de Marie-Pierre Pruvot, venue au monde en Algérie en 1935 avec le prénom de Jean-Pierre, qui a choisi son genre et son sexe. Des cabarets du Paris des années 1950 sous le nom de Bambi à l’Éducation nationale, elle est une figure de l’affirmation transgenre. Le film sorti en 2013 a ensuite été montré à nouveau dans la forme voulue par Sébastien Lifshitz en 2021 sous le titre Bambi : une femme nouvelle.

[7] En 2016, Sébastien Lifshitz a été le commissaire de l’exposition « Mauvais Genre », composée de photos amateurs consacrées au travestissement et présentée aux Rencontres de la photographie d’Arles, puis dans plusieurs galeries dans le monde, et qui a donné lieu à un livre (Éditions Textuel). La même année paraît aux éditions Steidl un coffret de quatre livres sous le titre Amateur, entièrement réalisé à partir de