La traversée des fantômes – sur l’oeuvre romanesque de Jon Fosse
À l’annonce de l’attribution du prix Nobel de littérature 2023 au Norvégien Jon Fosse, la majorité des articles parus en France ont surtout évoqué son œuvre dramatique, jouée dans le monde entier et mise en scène au début du millénaire, en France, par Patrice Chéreau, Jacques Lassalle, Claude Régy ou Thomas Ostermeier, rien de moins.

S’il est un dramaturge d’exception, Fosse n’en reste pas moins avant tout poète et romancier. On ne peut que regretter qu’à ce jour pas même une anthologie de ses poèmes n’ait encore été traduite en français (ce qui est une forme d’exception culturelle au regard des principales langues européennes), alors que la dizaine de romans traduits parmi les vingt-et-un qu’il a publiés sont parus pour la plupart chez de valeureux acteurs de la petite édition, Circé en premier lieu qui en détient six à son catalogue, l’ensemble du théâtre traduit l’ayant été aux éditions de l’Arche (qui propose aussi trois de ses livres pour enfants, dont Petite soeur[1], d’autant plus intéressant à découvrir qu’il raconte une fugue enfantine reprise d’une manière autrement plus cruelle dans les romans ultérieurs, et un riche recueil d’entretiens menés au long des deux dernières décennies par le metteur en scène Gabriel Dufay, Écrire, c’est écouter[2]).
Ce constat explique l’écho relatif reçu en France par le prix Nobel 2023. Cette œuvre romanesque majeure célébrée dans de nombreux pays européens reste tristement méconnue des lecteurs français : il est d’autant plus nécessaire d’y insister que, loin d’être achevée (Jon Fosse est né en 1959), son œuvre de fiction est tout bonnement sidérante par ce qu’elle parvient à mettre au jour de ce qui hante nos vies intérieures, ayant élaboré au long des années une capacité inédite à liquéfier sinon liquider le temps comme perception ou comme réalité, quand le rapport au temps demeure l’un des matériaux essentiels de toute élaboration romanesque. Plus qu’exceptionnelles sont les œuvres qui, non sans entêtement, par