Politique

Empathie, bons sentiments et mauvaise politique

économiste

De Laurent Berger à Alain Juppé, en passant par nombre d’éditorialistes, des voix diverses se sont récemment élevées pour demander au président de la République qu’il fasse désormais preuve d’empathie. Mais ce que reprochent les « gilets jaunes » à Emmanuel Macron n’est pas d’être incapable « de se mettre à la place d’autrui, de percevoir ce qu’il ressent » mais de mener une politique qui ne traite pas plus la question de l’injustice sociale, qu’elle n’apporte de solution à la question démocratique, vue comme une condition de résolution de la première.

Plus de trois semaines après le démarrage de la crise des Gilets Jaunes, tandis que cette dernière ne cessait de s’amplifier, nombreux furent ceux qui lancèrent des appels pressants au Président de la République, l’enjoignant de prendre la parole. Ecoutons-les et nous entendrons alors une curieuse musique dont l’un des refrains essentiels est construit autour de la notion d’« empathie ».

Les Français attendent du président Macron un « discours d’empathie » face à leurs difficultés, estimait ainsi le secrétaire général de la CFDT Laurent Berger. Emmanuel Macron doit « tenir un discours d’autorité, mais aussi de compréhension, d’empathie », affirmait Alain Juppé. « Nous avons réclamé ce dialogue et cette empathie à l’égard des élus locaux, qui peut largement contribuer à l’unité nationale », expliquait un autre ténor de la droite. Bien des journalistes reprirent également en chœur ce refrain de l’empathie. Avant son discours, pour mieux le saluer après ! On interrogea des citoyens qui à leur tour reprirent la ritournelle : pour Sabine par exemple,  « il a fait un très bon discours. Il y avait de l’empathie. ».

Simple coïncidence ? Voire phénomène de mode sémantique dont le paysage politique et médiatique est coutumier et qui ne mérite pas que l’on s’y arrête ? Pourtant qui peut croire que les mots seraient à ne pas prendre au sérieux ? Surtout lorsque l’on parle de politique. Essayons donc de saisir quelles pourraient être les raisons de ce soudain engouement pour l’empathie de la part d’un certain nombre d’acteurs et de commentateurs politiques – cette « faculté intuitive de se mettre à la place d’autrui, de percevoir ce qu’il ressent » (Dictionnaire Larousse). Nous verrons que l’on peut en identifier plusieurs, de natures assez différentes, mais surtout que l’empathie du président de la République, n’est ni une condition suffisante, ni une condition nécessaire de la résolution de la crise que traverse notre pays.

L’empathie comme antidote au mépris ou vocabulaire d


[1] Il faut ici mentionner l’ouvrage de Yann Algan et Pierre Cahuc, La société de défiance. Comment le modèle social français s’autodétruit aux éditions rue d’ULM.

[2] Le cas de la théorie économique est ici particulièrement frappant. Après des décennies de règne, notamment dans le courant dominant de la théorie néoclassique, de l’hypothèse de l’Homo œconomicus, tel qu’elle avait été définie par J.S. Mill (« On the Definition of Political Economy, and on the Method of Investigation Proper to It”, London and Westminster Review, 1836) et qui faisait de l’individu, un être isolé dans une quasi indifférence à l’égard d’autrui, tel un « atome flottant dans le vide social » (selon les termes de Durkheim), les interactions entre individus, puis les émotions qu’ils ressentent les uns à l’égard des autres, sont revenus en force dans les travaux des économistes, en particulier avec la théorie des jeux, et notamment dans les travaux de l’économie qui étudient la théorie de la décision et dans ceux de l’économie expérimentale et de la neuroéconomie.

[3]   Empathy: From Bench to Bedside, Jean Decety (éd.). Cambridge: MIT Press,   Pessoa L, Adolphs R, « Emotion processing and the amygdala : from a ‘low road’ to ‘many roads’ of evaluating biological significance », Nature Reviews Neuroscience, no 11,‎ 2010, p. 773-82  ;   Decety, J., et Meyer, M. « From emotion resonance to empathic understanding: A social developmental neuroscience account. » dans Development and Psychopathology, 20, 1053-1080 Decety, J., Michalska, K.J., et Akitsuki, Y. « Who caused the pain? A functional MRI investigation of empathy and intentionality in children. Neuropsychologia », 46, 2607-2614.

[4]  Des travaux affirment également qu’il peut être inhibé ou augmenté par divers facteurs sociaux (les relations interpersonnelles ou l’appartenance à un groupe ethnique, politique ou religieux). Notons que de nombreux travaux ont aussi montré que l’on retrouve ce mécanisme dans de nombreuses espèces animale

Isabelle This Saint-Jean

économiste, Professeure à l'université Sorbonne Paris-Nord

Mots-clés

Gilets jaunes

Notes

[1] Il faut ici mentionner l’ouvrage de Yann Algan et Pierre Cahuc, La société de défiance. Comment le modèle social français s’autodétruit aux éditions rue d’ULM.

[2] Le cas de la théorie économique est ici particulièrement frappant. Après des décennies de règne, notamment dans le courant dominant de la théorie néoclassique, de l’hypothèse de l’Homo œconomicus, tel qu’elle avait été définie par J.S. Mill (« On the Definition of Political Economy, and on the Method of Investigation Proper to It”, London and Westminster Review, 1836) et qui faisait de l’individu, un être isolé dans une quasi indifférence à l’égard d’autrui, tel un « atome flottant dans le vide social » (selon les termes de Durkheim), les interactions entre individus, puis les émotions qu’ils ressentent les uns à l’égard des autres, sont revenus en force dans les travaux des économistes, en particulier avec la théorie des jeux, et notamment dans les travaux de l’économie qui étudient la théorie de la décision et dans ceux de l’économie expérimentale et de la neuroéconomie.

[3]   Empathy: From Bench to Bedside, Jean Decety (éd.). Cambridge: MIT Press,   Pessoa L, Adolphs R, « Emotion processing and the amygdala : from a ‘low road’ to ‘many roads’ of evaluating biological significance », Nature Reviews Neuroscience, no 11,‎ 2010, p. 773-82  ;   Decety, J., et Meyer, M. « From emotion resonance to empathic understanding: A social developmental neuroscience account. » dans Development and Psychopathology, 20, 1053-1080 Decety, J., Michalska, K.J., et Akitsuki, Y. « Who caused the pain? A functional MRI investigation of empathy and intentionality in children. Neuropsychologia », 46, 2607-2614.

[4]  Des travaux affirment également qu’il peut être inhibé ou augmenté par divers facteurs sociaux (les relations interpersonnelles ou l’appartenance à un groupe ethnique, politique ou religieux). Notons que de nombreux travaux ont aussi montré que l’on retrouve ce mécanisme dans de nombreuses espèces animale