À bord de l’Ocean Viking, territoire européen
Jeudi 6 juin
Il est 16h15. Je prends le relai de Finn, l’homme au sourire quasi-constant. « Nothing to declare. » La formule douanière résonne singulièrement ici-même. Je saisis ses jumelles, puissantes optiques qu’il faut manoeuvrer non sans un certain tact. Dan nous en avait fait une démonstration à Syracuse, il y a quelques semaines. Après avoir ajusté la machine à ta morphologie – les trous en face des yeux donc – il convient de faire le point méticuleusement : œil droit fermé ; puis œil gauche ; puis les deux grands ouverts. L’image se dessine alors, succédant à des taches noires qui d’abord occupaient le champ. Parfois le trouble revient, les tâches enflent rapidement sur le paysage comme une brûlure qui se répand. Puis elles disparaissent, et les lignes se resserrent, et les contours de nouveau se font. Cela peut prendre un temps.

Enfin quelque chose s’installe, l’horizon se pose, l’image cristallise. Lors des entraînements, depuis le navire à l’ancre à quelques centaines de mètres du rivage, nous fixions l’horizon sicilien, la découpe de l’île d’Ortygie, centre historique de Syracuse, et, sur la crête, le ballet des touristes ébahis. Un couple à l’arrêt, un groupe longeant les fortifications en ligne indienne, un joggeur T-shirt blanc sur fond ocre filant sur la corniche. Le secret plaisir de scruter, de saisir ce qui devrait échapper. Le délice du voyeur. Aujourd’hui n’a pour ainsi dire rien à voir : seul le bleu, du ciel et de l’eau. À la surface d’une mer relativement calme, quelques éclats d’écume parfois, le léger fracas des vagues les unes contre les autres. La vibration du soleil aussi, à l’Ouest, à tribord du navire qui fonce lui plein Sud. Là devant, sur ce loin devant où il nous faut porter le regard, les touristes bienheureux n’y sont plus. Nous scrutons des absents.
Nous sommes deux personnes en poste, jumelles comme fixées sur les globes oculaires, nos casquettes blanches vissées sur nos têtes, indispensables équipements permettant d&