Récit de voyage

Petit voyage d’Arkhangelsk à Astrakhan (ce qui nous attache à la Russie)

Écrivain

On connaît, de Bernard Chambaz, le goût de la traversée. Qu’il s’agisse, entre autres exemples, de son giro personnel en Italie (Evviva l’Italia) ou de son magnifique cheminement aux États-Unis dans Dernières nouvelles du martin-pêcheur. Et déjà dans Petit voyage d’Alma-Ata à Achkhabad un certain attachement à la Russie s’était fait jour. On le retrouve quelques années plus tard dans le texte qu’il confie aujourd’hui à AOC. Le fils de Staline à Kazan, Michel Strogoff à Nijni-Novogorod, la rue Karl-Liebknecht à Arkhangelsk et l’actrice Elena Solovei à Astrakhan… Les rencontres et les traces se réveillent au long de ce « périple vertical » (carte à consulter en bas du texte).

Quand le Tupolev commence à descendre vers la piste bordée de sapins et de bouleaux, je sens mon cœur se relâcher. C’est un phénomène purement physique qui ne m’étonne plus. L’avenir reprend ses droits. Je pose mon front contre le hublot, j’observe le ciel, les remous bleu pâle, les turbulences autour de l’aile, j’ai la sensation effective de voler, quelques minutes, avant de retrouver le plan­cher des vaches.

L’avion roule sur la piste et se range devant un long parallélépipède couronné par les lettres immenses en caractères cyrilliques ARKHANGELSK. Je suis heureux d’être venu voir à quoi ça ressemble. Le commandant de bord nous souhaite un bon après-midi, spassiba, je descends les marches de la passerelle, l’air est frais, le ciel déjà haut, la piste vide à part un avion postal à hélices. Dans l’aérogare, nous retrouvons – mon amoureuse et moi (son amoureux) – nos sacs à dos au milieu d’un amas hétéroclite de valises et de cartons ficelés avec un art consommé du paquetage. Il n’y a pas d’autre voyageur que des voyageurs de commerce et des résidents de retour en Arctique. L’âme en paix, nous sortons à la recherche du premier autocar du voyage. Il est jaune, pas trop brinquebalant ni onéreux. On se tasse au fond et on regarde par les vitres. Après un quart d’heure de campagne ponctuée par des carcasses industrielles, puis un autre quart d’heure d’un rigoureux quadrillage urbain noyé de verdure, il nous dépose au centre-ville, devant un énorme dépôt de branches d’arbres émondés. On descend, en un lieu sans rapport évident avec le lieu qu’on avait cru repérer sur le plan.

À peine arrivé à notre point de départ, je ne pense pas à repartir, mais je vou­drais décider assez vite par où nous repartirons. Tant qu’à faire, je m’offrirais vo­lontiers une boucle préliminaire. Je suis partagé entre l’idée d’aller à Mour­mansk à cause du 70e parallèle et l’idée d’aller chez les Nenets à cause d’un film en noir et blanc qui a réveillé ma passion ancestrale pour les éleveurs de re


Bernard Chambaz

Écrivain, Poète

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