Politique

Patrons et patronats saisis par les élections

Politiste

Quand le patronat et les grands patrons se taisent, les petits patrons et certaines organisations entrepreneuriales périphériques prennent la parole. Plus, pour une fraction non négligeable du petit patronat, qui n’est plus stigmatisé comme poujadiste, c’est un moment de revanche : pouvoir exprimer ses affects ses émotions voire ses dégouts en un seul mot : « Bardella ».

« Qu’est-ce qu’on fait s’ils gagnent en 2027 ? On prend le maquis ? »
Patrick Martin, Président du Medef, décembre 2023.

« Nous ne faisons pas de politique », « L’entreprise est un lieu neutre ». « Notre seul parti c’est l’entreprise », entend-t-on souvent dans les milieux patronaux.

Et de fait, si on les compare aux grands patrons états-uniens, peu de grands patrons interviennent dans les débats politiques quotidiens ou s’immiscent dans les compétitions électorales.

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La période actuelle est un formidable prisme sur l’état actuel du patronat (au sens des organisations patronales) et des mondes patronaux français. L’observer est une véritable expérience de chimie sociale qui montre les fractures des mondes patronaux et les capacités et incitations différentielles à prendre la parole.

Pour aller vite, quand le patronat et les grands patrons se taisent, les petits patrons et certaines organisations entrepreneuriales périphériques prennent la parole. Plus, pour une fraction non négligeable du petit patronat, qui n’est plus stigmatisé comme poujadiste, c’est un moment de revanche : pouvoir exprimer ses affects ses émotions voire ses dégouts en un seul mot : « Bardella ».

La réserve patronale française

Ce que donnent à entendre les principaux porte-parole des patronats en France : je gère mon entreprise, je remplis mon carnet de commandes, je crée des emplois et c’est tout. Les chefs d’entreprise hexagonaux, si on les compare aux grands patrons états-uniens, n’interviennent que peu dans les débats politiques quotidiens et s’immiscent peu ouvertement dans les compétitions électorales voire après.[1]

L’entreprise aux États-Unis a les mêmes droits qu’une personne physique (arrêt de la Cour Suprême Citizens United v. FEC, 2010) ; contrairement à nombre de grands patrons états-uniens qui utilisent largement les finances de l’entreprise et leurs propres fortunes pour financer des think tanks, des candidats, et pour se payer des pages de publicité dans la presse (les ad


[1] « President Donald Trump assembled a table of 17 high-powered executives for the first meeting of his business council Friday.(..) Schwarzman, the king of private equity, is the chairman of Trump’s business council. As chairman, he selected its members, and told CNBC that the president « loved them all. » » Business Insider, 3 février 2017.

[2] « Les gens ne connaissent pas bien l’économie Bernard Arnault balaye les critiques sur les milliardaires », Le Parisien, 26 janvier 2023.

[3] Michel-Edouard Leclerc, Du bruit dans le Landerneau : Entretiens avec Yannick Le Bourdonnec, Albin Michel, 2004. Il est l’un des seuls chefs d’entreprise importants à avoir été pris en photo avec un dirigeant RN (sur X en septembre 2023)

[4] Michel Offerlé, Ce qu’un patron peut faire. Une sociologie politique des mondes patronaux, Gallimard, 2021.

[5] Emmanuel Faber, Chemins de traverse, Albin Michel, 2011 ; Ouvrir une voie, Guérin, 2022.

[6] Pascal Demurger, L’entreprise du XXIe siècle sera politique ou elle ne sera plus, L’aube, 2019.

[7] « Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés. La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. »

[8] Parmi beaucoup d’autres Elsa Conesa, « L’opération séduction du Rassemblement national auprès des patron », Le Monde, 7 décembre 2023 ; Renaud Honoré, « Rallier l’establishment le rêve contrarié du RN », Les Échos, 14 décembre 2023 ; Nicolas Massol, « Des législatives 2022 aux européennes : Comment le Rassemblement national est devenu totalement banal », Libération, 22 avril 2024, et, pour une synthèse, voir Isabelle Chaperon,  « Législatives 2024 : chez les patrons français, la tentation du Rassemblement national », Le Monde, 21 juin 2024, et Renaud Honoré, « Ces trois semaines qui ont ébranlé le patronat », Les Échos, 27 juin 2024. Et encore, Denis Lafay, « Face au RN, où sont les patrons ? », La Tribune, 18 décemb

Michel Offerlé

Politiste, Professeur émérite à l’École normale supérieure

Notes

[1] « President Donald Trump assembled a table of 17 high-powered executives for the first meeting of his business council Friday.(..) Schwarzman, the king of private equity, is the chairman of Trump’s business council. As chairman, he selected its members, and told CNBC that the president « loved them all. » » Business Insider, 3 février 2017.

[2] « Les gens ne connaissent pas bien l’économie Bernard Arnault balaye les critiques sur les milliardaires », Le Parisien, 26 janvier 2023.

[3] Michel-Edouard Leclerc, Du bruit dans le Landerneau : Entretiens avec Yannick Le Bourdonnec, Albin Michel, 2004. Il est l’un des seuls chefs d’entreprise importants à avoir été pris en photo avec un dirigeant RN (sur X en septembre 2023)

[4] Michel Offerlé, Ce qu’un patron peut faire. Une sociologie politique des mondes patronaux, Gallimard, 2021.

[5] Emmanuel Faber, Chemins de traverse, Albin Michel, 2011 ; Ouvrir une voie, Guérin, 2022.

[6] Pascal Demurger, L’entreprise du XXIe siècle sera politique ou elle ne sera plus, L’aube, 2019.

[7] « Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés. La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. »

[8] Parmi beaucoup d’autres Elsa Conesa, « L’opération séduction du Rassemblement national auprès des patron », Le Monde, 7 décembre 2023 ; Renaud Honoré, « Rallier l’establishment le rêve contrarié du RN », Les Échos, 14 décembre 2023 ; Nicolas Massol, « Des législatives 2022 aux européennes : Comment le Rassemblement national est devenu totalement banal », Libération, 22 avril 2024, et, pour une synthèse, voir Isabelle Chaperon,  « Législatives 2024 : chez les patrons français, la tentation du Rassemblement national », Le Monde, 21 juin 2024, et Renaud Honoré, « Ces trois semaines qui ont ébranlé le patronat », Les Échos, 27 juin 2024. Et encore, Denis Lafay, « Face au RN, où sont les patrons ? », La Tribune, 18 décemb