Écologie

Se préparer aux pandémies et au réchauffement climatique

Anthropologue

Et s’il n’y avait qu’un pas entre les mesures d’urgence qui ont été prises pour se protéger de l’épidémie de Covid-19 et celles qui seraient nécessaires à la préservation des écosystèmes ? Dès lors, l’inaction climatique n’aurait plus aucun fondement économique ou technique : elle résulterait seulement du manque de volonté, sinon de l’inconscience des dirigeants politiques. Une discussion des thèses d’Andreas Malm et de Bruno Latour peut permettre de convertir la prise de conscience collective du danger écologique en transformations socio-politiques durables.

Les pandémies et le réchauffement climatique figurent, d’après les experts internationaux, parmi les plus grandes menaces auxquelles l’humanité est exposée dans le demi-siècle à venir. Il ne s’agit pas de menaces naturelles, comme dans l’imaginaire des tremblements de terre ou des ouragans que nous avons hérité de la pensée des Lumières, c’est-à-dire que nous pouvons prévoir par des calculs de probabilité appliqués à une nature mesurable.

Ce sont des menaces d’origine anthropique, puisqu’elles sont causées par l’action de l’humanité sur la planète : l’extinction d’espèces sauvages et l’élevage industriel d’animaux domestiques favorisent l’émergence de nouveaux pathogènes, et l’émission de gaz à effets de serre conduit à une augmentation globale de la température de la planète. L’accélération de cet effet anthropique depuis ce que les géologues ont proposé d’appeler l’Anthropocène, et qu’ils datent le plus souvent du milieu du vingtième siècle, l’a rendu imprévisible selon les modèles appliqués jusque-là aux risques naturels. Il ne s’agit plus de prévoir des menaces mais de se préparer à leurs effets catastrophiques. D’où la nécessité de lier causalité naturelle et responsabilité sociale.

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Au cours des vingt dernières années, les crises sanitaires qui résultent de ces deux menaces se sont multipliées et leurs effets sur les crises politiques dans lesquelles se débattent les sociétés contemporaines sont incontestables, quoique peu documentés. La crise du SRAS (Syndrome respiratoire aigu sévère), la grande canicule de 2003[1], la pandémie de grippe H1N1 en 2009 et la pandémie de Covid-19 nous ont montré que la même causalité est à l’œuvre dans l’émergence de nouveaux pathogènes et dans l’augmentation des températures globales, et nous a conduits à poser la question : en quoi l’expérience de la pandémie, crise brutale qui interrompt les activités au niveau global, nous prépare-t-elle aux effets du réchauffement climatique, crise plus lente mais qui affecte plus


[1] La coïncidence entre ces deux événements a été rarement soulignés alors que leurs observateurs soulignent qu’ils nous font véritablement entrer dans le XXIe siècle. Cf. Lucien Abenhaïm, Canicules : la santé publique en question, Paris, Fayard, 2003 ; et Thomas Abraham, Twenty-first Century Plague. The Story of SARS, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 2005.

[2] Cf. Marie-Monique Robin et Serge Morand, La Fabrique des pandémies. Préserver la biodiversité, un impératif pour la santé planétaire, Paris, La Découverte, 2021.

[3] J’ai posé cette question dans la conclusion de mon livre Un monde grippé (Paris, Flammarion, 2010) en référence aux réflexions de Charles Péguy et Georges Sorel.

[4] Cf. Paul Fauconnet, La Responsabilité, Paris, PUF, 2023, éd. Sacha Lévy-Bruhl.

[5] J’ai abordé ces questions dans les recensions de quatre ouvrages récents que j’ai publiées dans la revue en ligne Terrestres sous les titres « Des animaux en révolte » et « Animaux de tous les pays, unissez-vous ! »

[6] Cf. Andreas Malm, L’Anthropocène contre l’histoire. Le Réchauffement climatique à l’ère du capital, Paris, La Fabrique, 2017 ; Comment saboter un pipeline, Paris, La Fabrique, 2020 ; The Progress of The Storm. Nature and Society in a Warming World, Londres, Verso, 2020.

[7] Andreas Malm, La Chauvesouris et le capital. Stratégie pour l’urgence chronique, Paris, La Fabrique, 2020, p. 127-132.

[8] Ibid., p. 110 : « Le Covid-19 est une manifestation d’une tendance à long terme parallèle à la crise climatique, un enfièvrement mondial accompagnant le réchauffement mondial. »

[9] Ibid., p. 70. Robert Wallace pratique une « épidémiologie évolutionnaire » et une « biologie dialectique » inspirées de Marx pour montrer que la concentration des animaux dans des élevages industriels est un facteur direct d’augmentation du risque d’émergence de pathogènes. Malm cite l’ouvrage de Wallace, Big Farms Make Big Flu. Dispatches on Infectious Disease, Agribusiness, and the Nature of Science,

Frédéric Keck

Anthropologue, Directeur de recherche au CNRS

Notes

[1] La coïncidence entre ces deux événements a été rarement soulignés alors que leurs observateurs soulignent qu’ils nous font véritablement entrer dans le XXIe siècle. Cf. Lucien Abenhaïm, Canicules : la santé publique en question, Paris, Fayard, 2003 ; et Thomas Abraham, Twenty-first Century Plague. The Story of SARS, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 2005.

[2] Cf. Marie-Monique Robin et Serge Morand, La Fabrique des pandémies. Préserver la biodiversité, un impératif pour la santé planétaire, Paris, La Découverte, 2021.

[3] J’ai posé cette question dans la conclusion de mon livre Un monde grippé (Paris, Flammarion, 2010) en référence aux réflexions de Charles Péguy et Georges Sorel.

[4] Cf. Paul Fauconnet, La Responsabilité, Paris, PUF, 2023, éd. Sacha Lévy-Bruhl.

[5] J’ai abordé ces questions dans les recensions de quatre ouvrages récents que j’ai publiées dans la revue en ligne Terrestres sous les titres « Des animaux en révolte » et « Animaux de tous les pays, unissez-vous ! »

[6] Cf. Andreas Malm, L’Anthropocène contre l’histoire. Le Réchauffement climatique à l’ère du capital, Paris, La Fabrique, 2017 ; Comment saboter un pipeline, Paris, La Fabrique, 2020 ; The Progress of The Storm. Nature and Society in a Warming World, Londres, Verso, 2020.

[7] Andreas Malm, La Chauvesouris et le capital. Stratégie pour l’urgence chronique, Paris, La Fabrique, 2020, p. 127-132.

[8] Ibid., p. 110 : « Le Covid-19 est une manifestation d’une tendance à long terme parallèle à la crise climatique, un enfièvrement mondial accompagnant le réchauffement mondial. »

[9] Ibid., p. 70. Robert Wallace pratique une « épidémiologie évolutionnaire » et une « biologie dialectique » inspirées de Marx pour montrer que la concentration des animaux dans des élevages industriels est un facteur direct d’augmentation du risque d’émergence de pathogènes. Malm cite l’ouvrage de Wallace, Big Farms Make Big Flu. Dispatches on Infectious Disease, Agribusiness, and the Nature of Science,