Le mal dans la peau – sur Dans le ventre de Klara de Régis Jauffret
Il y a chez Régis Jauffret, et cela nous réjouit, une forme (grave) de folie polygraphe. Ou plus simplement : un appétit extraordinaire de fiction, et un plaisir à « faire des histoires » que rien ne semble devoir rassasier jamais, si bien qu’il peut s’emparer indifféremment de faits divers abrasifs (l’assassinat du banquier Stern par sa maîtresse, dans Sévère), d’une certaine mythologie politique à scandale (l’affaire « DSK », dans La ballade de Rikers Island ), des mille possibles parfois infimes de la réalité contemporaine (dans les recueils successifs de Microfictions), et aujourd’hui d’une sorte de pré-histoire extraordinairement culottée : l’enfantement d’Adolf Hitler.

C’était évidemment périlleux, et c’est précisément tout ce qu’aime Régis Jauffret : traiter d’un sujet hautement inflammable, et s’essayer à affronter le pire, mais en souriant toujours d’un drôle de sourire un peu lointain, d’une ironie assez difficile à décrire, présente partout pourtant dans sa prose, laquelle préfère ainsi les paris risqués aux récits confortables. Le voici donc qui s’essaie à un faux roman historique dont l’héroïne sera la mère du plus célèbre de tous les dictateurs, Hitler en personne, né en avril 1889 d’une certaine Klara Pölzl (1860-1907), mariée depuis 1885 à Aloïs Hitler (1837-1903), avec lequel elle a de probables liens de cousinage. Le ventre de Klara raconte la gestation du monstre, par la voix de sa génitrice, engrossée par celui qu’elle appellera toujours « Oncle » : une sorte d’affreux self-made-man autrichien, qui fait régner la terreur (y compris sexuelle) sur un foyer hyper-catholique, Klara et sa sœur Johanna étant littéralement obsédées par l’idée du péché et de la damnation.
On dira peut-être que tout cela a l’air un peu lourd, ou excessivement démonstratif, puisqu’il s’agit en somme de s’interroger, à partir d’éléments historiquement documentés, sur ce que l’on appelle, selon une expression désormais légèrement convenue, « l’origine du mal ». La