Rediffusion

Le mal dans la peau – sur Dans le ventre de Klara de Régis Jauffret

Écrivain

Régis Jauffret, on le sait, est un romancier des extrêmes qui aime les défis narratifs et s’attaque volontiers à des sujets-limite. Le ventre de Klara en propose à nouveau la démonstration, à la fois magistrale et terrible, car le personnage-titre n’est autre que la mère de… Hitler. Récit par sa génitrice de la gestation d’un monstre, ce faux roman historique, parfaitement documenté, est aussi une formidable réflexion sur les pouvoirs de la fiction dans notre rapport présent au mal. Rediffusion d’un article du 8 janvier 2024.

Il y a chez Régis Jauffret, et cela nous réjouit, une forme (grave) de folie polygraphe. Ou plus simplement : un appétit extraordinaire de fiction, et un plaisir à « faire des histoires » que rien ne semble devoir rassasier jamais, si bien qu’il peut s’emparer indifféremment de faits divers abrasifs (l’assassinat du banquier Stern par sa maîtresse, dans Sévère), d’une certaine mythologie politique à scandale (l’affaire « DSK », dans La ballade de Rikers Island ), des mille possibles parfois infimes de la réalité contemporaine (dans les recueils successifs de Microfictions), et aujourd’hui d’une sorte de pré-histoire extraordinairement culottée : l’enfantement d’Adolf Hitler.

publicité

C’était évidemment périlleux, et c’est précisément tout ce qu’aime Régis Jauffret : traiter d’un sujet hautement inflammable, et s’essayer à affronter le pire, mais en souriant toujours d’un drôle de sourire un peu lointain, d’une ironie assez difficile à décrire, présente partout pourtant dans sa prose, laquelle préfère ainsi les paris risqués aux récits confortables. Le voici donc qui s’essaie à un faux roman historique dont l’héroïne sera la mère du plus célèbre de tous les dictateurs, Hitler en personne, né en avril 1889 d’une certaine Klara Pölzl (1860-1907), mariée depuis 1885 à Aloïs Hitler (1837-1903), avec lequel elle a de probables liens de cousinage. Le ventre de Klara raconte la gestation du monstre, par la voix de sa génitrice, engrossée par celui qu’elle appellera toujours « Oncle » : une sorte d’affreux self-made-man autrichien, qui fait régner la terreur (y compris sexuelle) sur un foyer hyper-catholique, Klara et sa sœur Johanna étant littéralement obsédées par l’idée du péché et de la damnation.

On dira peut-être que tout cela a l’air un peu lourd, ou excessivement démonstratif, puisqu’il s’agit en somme de s’interroger, à partir d’éléments historiquement documentés, sur ce que l’on appelle, selon une expression désormais légèrement convenue, « l’origine du mal ». La


Fabrice Gabriel

Écrivain, Critique littéraire