Politique

Les quartiers, les « gilets jaunes » et la gauche

Politiste

Depuis le début du mouvement des « gilets jaunes », nombreux sont ceux qui remarquent l’absence des quartiers populaires. Mais pourquoi se poser davantage la question que pour d’autres segments de la société ? Sans doute parce que c’est la définition même du sujet politique auquel les forces de gauche entendent désormais s’adresser qui se trouve en jeu.

Ils ne sont pas là ! Depuis le début du mouvement, analystes, journalistes, sociologues, militants se demandent, comme une rengaine, où sont les quartiers populaires.

Participent-ils au mouvement ? Sont-ils solidaires ? Comment répondre à ces questions sans énoncer une forme d’injonction à la participation qui ferait de nouveau passer les quartiers populaires pour des déserts politiques et leurs habitants pour des sauvageons ne pouvant qu’osciller entre business et religion, l’engagement collectif leur étant fondamentalement étranger ? Pourquoi d’ailleurs se poser davantage la question pour la population des quartiers que pour d’autres segments de la société ?

Une raison au moins invite à se la poser : derrière la participation au mouvement des « gilets jaunes » se joue la définition du sujet politique auquel les forces de gauche veulent s’adresser. Si le mouvement incarne le « retour de la lutte des classes », mais que les habitants des quartiers n’en font pas vraiment partie, ne peut-on craindre leur marginalisation dans la redéfinition du sujet politique que les forces de gauche cherchent à représenter ?

La participation limitée des habitants des quartiers populaires au mouvement – qui est incontestable – a dès lors des implications pour la construction d’offres politiques en direction des classes populaires dans leur ensemble, et pourrait se traduire par une invisibilisation accrue de certaines de leurs fractions les plus précarisées.

Un travail de convergence issu des organisations de l’antiracisme politique

Parler des quartiers populaires comme d’une entité homogène n’a pas de sens [1]. S’ils concentrent les populations les plus précarisées et les minorités ethno-raciales descendant de la colonisation, ces espaces comptent également des petites classes moyennes, des employés, des commerçants et professions intermédiaires, des blancs issus ou non de l’immigration, des étudiants…

À ce titre, les franges supérieures de la population des quartiers – qui sont cell


[1] J’adopte ici une définition minimale des quartiers populaires, comme Quartiers prioritaires de la Politique de la ville, qui, selon ce zonage, sont ceux qui concentrent des habitants disposant d’un revenu inférieur à 60% du revenu médian national. Si la définition se veut essentiellement sociale – en termes de revenu – les quartiers populaires sont également des espaces urbains (grandes comme petites villes), et où sont surreprésentées, outre les populations les plus modestes, les minorités ethno-raciales.

[2] À l’image de la conférence organisée le 27 novembre 2018 à Bagnolet intitulée « Quartiers populaires en banlieue et monde rural délaissé. Similitudes et différences ». https://reporterre.net/Youcef-Brakni-et-Edouard-Louis-La-politique-est-une-question-de-vie-et-de-mort . Le collectif mène plus largement un travail politique visant à relier la cause des violences policières et la défense des intérêts des habitants des quartiers à la gauche, ayant notamment participé à plusieurs évènements de la France Insoumise ces derniers mois.

[3] Voir « Haut, bas, fragile : sociologies du populaire », entretien avec Annie Collovald & Olivier Schwartz, Vacarme, 15 octobre 2006 ; O. Schwartz, « Peut-on parler des classes populaires », La vie des idées, 13 septembre 2011.

[4] « Grand débat national », Roubaix, 29 janvier 2019.

[5] Ethnicisation qui est largement le produit de traitements inégalitaires discriminatoires systémiques, davantage que de supposées « revendications identitaires », les identifications que nous avons recueillies étant pour partie réactives, découlant de l’expérience répétée d’un « déni d’une francité », toujours implicitement vue comme blanche. Voir par exemple N. Keyhani, S. Laurens (dir.) « La production officielle des différences culturelles », Cultures et conflits, n°107, 2017.

[6] Voir notamment les « Rencontres nationales des quartiers populaires » organisées à Epinay-sur-Seine le 14 novembre 2018, où plusieurs leaders de l’antiracisme politiq

Julien Talpin

Politiste, Chargé de recherche au CNRS

Mots-clés

Gilets jaunes

Notes

[1] J’adopte ici une définition minimale des quartiers populaires, comme Quartiers prioritaires de la Politique de la ville, qui, selon ce zonage, sont ceux qui concentrent des habitants disposant d’un revenu inférieur à 60% du revenu médian national. Si la définition se veut essentiellement sociale – en termes de revenu – les quartiers populaires sont également des espaces urbains (grandes comme petites villes), et où sont surreprésentées, outre les populations les plus modestes, les minorités ethno-raciales.

[2] À l’image de la conférence organisée le 27 novembre 2018 à Bagnolet intitulée « Quartiers populaires en banlieue et monde rural délaissé. Similitudes et différences ». https://reporterre.net/Youcef-Brakni-et-Edouard-Louis-La-politique-est-une-question-de-vie-et-de-mort . Le collectif mène plus largement un travail politique visant à relier la cause des violences policières et la défense des intérêts des habitants des quartiers à la gauche, ayant notamment participé à plusieurs évènements de la France Insoumise ces derniers mois.

[3] Voir « Haut, bas, fragile : sociologies du populaire », entretien avec Annie Collovald & Olivier Schwartz, Vacarme, 15 octobre 2006 ; O. Schwartz, « Peut-on parler des classes populaires », La vie des idées, 13 septembre 2011.

[4] « Grand débat national », Roubaix, 29 janvier 2019.

[5] Ethnicisation qui est largement le produit de traitements inégalitaires discriminatoires systémiques, davantage que de supposées « revendications identitaires », les identifications que nous avons recueillies étant pour partie réactives, découlant de l’expérience répétée d’un « déni d’une francité », toujours implicitement vue comme blanche. Voir par exemple N. Keyhani, S. Laurens (dir.) « La production officielle des différences culturelles », Cultures et conflits, n°107, 2017.

[6] Voir notamment les « Rencontres nationales des quartiers populaires » organisées à Epinay-sur-Seine le 14 novembre 2018, où plusieurs leaders de l’antiracisme politiq