Littérature

Des mots face aux images — à propos d’ Hélène ou le soulèvement d’Hugues Jallon

Critique

Qu’est-ce qu’un soulèvement ? Par le récit d’un road-trip amoureux en quête de chemins de liberté à travers une Europe en faillite, Hugues Jallon dessine un moment de bascule, un mouvement, de l’âme suivie du corps, marqué par l’immédiateté et peut-être l’inexplicable. Hélène ou Le soulèvement inscrit cette romance dans un réseau d’images et interroge les rapports de force poétique qu’elles entretiennent avec les mots.

Hélène ou le soulèvement est d’abord l’histoire d’une image. Une photo volée, prise d’un téléphone, au beau milieu d’une fête, l’air de rien : Hélène endormie, la tête sur les genoux de son mari.

Ce regard posé sur elle par un inconnu est un déclic, le point de bascule de son existence : c’est à sa suite que, rentrée à l’hôtel avec son époux, Hélène décide inexplicablement de retourner vers l’homme qui l’a regardée. En cette toute fin de nuit, ils s’accordent sans un mot ; quittant la fête, il l’emmène prendre un train, un avion, une voiture, jusqu’à Athènes où les nouveaux amants louent un appartement.

Qu’est-ce qui conduit Hélène à se dérober d’un coup à sa vie bien réglée — un mari, deux enfants, un salon de beauté à Libourne ? Un coup de foudre, un ras-le-bol, un ravissement ? Il y a bien sûr beaucoup de Lol V. Stein dans ce personnage qui consent si soudainement à être captivée, arrachée, emportée loin de sa vie passée.

Son téléphone sonne dans le vide jusqu’au silence, les enfants ne sont que des traces laissées dans l’air par leurs cris, par le mouvement des balançoires désertes et, très vite, tout a disparu : « Ce serait comme ça longtemps, le plus longtemps possible, le monde s’est retiré, je n’ai plus besoin de moi.»

On le devine, l’ombre de Duras est partout, de Moderato à Hiroshima, des « rochers noirs» qui abritent leur premier baiser aux incantations amoureuses de la jeune femme, et jusque dans la singularité la plus saillante du livre : les images, une douzaine de portraits d’Hélène morcelés et sous-titrés.

Ce roman-photo (qu’on dirait tout droit tiré d’Agatha) ose exhiber ce que Duras appelle la « photo absolue » : cette image impossible, censée condenser le moment de vérité d’une vie entière, qui devrait n’exister que dans l’esprit de l’auteur mais se livre bel et bien, ici, aux regards du lecteur.

Cette Hélène tient donc bien plus de Duras que d’Homère. Au lieu d’en partir, elle se fixe à Athènes ; son soulèvement (si c’est bien, d’ailleurs, du si


Sophie Bogaert

Critique , Éditrice

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