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Le grand tournant algérien

Journaliste

Contrairement à ce que l’on entend ces derniers jours, l’Algérie n’est pas ce corps social inerte qui subirait, sans bouger, le régime d’un président malade depuis son AVC en 2013, et se réveillerait soudain, à deux mois de l’élection présidentielle. Tout ou partie du pays a manifesté ces dernières années dès le printemps arabe, et même avant, dès 2010. Toutefois, les manifestations actuelles signent peut-être la fin du compromis trouvé par le régime algérien. Sommes nous à l’aube d’un renversement politique ?

De l’empire romain à la « République populaire et démocratique » algérienne, c’est une axiome essentiel des sciences politiques : aucun régime ne peut durer sans un compromis négocié avec toute ou partie de sa population et l’élaboration d’un grand récit national.

Jusqu’ici, Alger vendait à son peuple ainsi qu’à ses alliés à l’étranger le mythe d’un État indépendant et stable au sein d’une région troublée, parvenu à triompher du terrorisme et à conserver sa permanence malgré les complots ourdis par ses voisins (marocains souvent, français parfois à la veille des visites officielles), capable enfin de contenter le gros de manifestants grâce à des subventions massives déversées sans compter, en particulier auprès de la jeunesse.

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Ces derniers jours, c’est à la fois un compromis qui dure depuis vingt ans et sans cesse réajusté et ce grand récit qui se fissurent sous nos yeux. Un régime s’écroule-t-il ? Rien ne permet encore de la dire. Mais ce nouveau mandat – le cinquième, d’un homme incapable déjà de mener sa propre campagne en 2014 – promis à une société dont la lassitude fut déjà perceptible tout au long des cinq dernières années, est le signe d’une absence totale de renouvellement politique et d’une incapacité de ce régime à faire accoucher l’Algérie d’un système pluraliste, ouvert à la nouvelle génération qui vient, ce qui pourrait bien causer sa perte.

Si la première décennie du règne Bouteflika fut concentrée sur le souvenir de la décennie noire des années 1990 et la guerre civile algérienne, la seconde fut marquée par deux grandes tendances : le renforcement de la présidence aux dépens de l’armée et des services de renseignement militaires, dont le trop fameux DRS (Département du Renseignement et de la Sécurité) qui présidait aux destinées du pays depuis la fin de la guerre d’indépendance ; et la clientélisation d’une société qui a multiplié les manifestations, dans le sillage du printemps arabe.

Contrairement à ce que l’on entend ces derniers jours


Pierre Puchot

Journaliste, spécialiste du Moyen-Orient