Roman (extrait)

D’un seul sang

Écrivaine

Reuel Briggs est noir, on le croit blanc, il fait ses études de médecine à Boston, et, adepte de spiritisme, parvient à ressusciter sa bien-aimée. Pour faire fortune, il part en expédition en Nubie et découvre le royaume de Telassar. Les feuilletons de Of One Blood, gothiques, romantiques, afro-futuristes, ont été publiés en 1903 dans The Colored American Magazine, dont Pauline Hopkins était la rédactrice en chef. Comédienne, chanteuse, militante radicale, la voilà enfin traduite en France par Jean-Baptiste Naudy, et bientôt publiée chez Ròt-Bò-Krik.

Chapitre I

Les récitations de la journée étaient terminées. C’était la première semaine de novembre, et tous les jours de la semaine, ou presque, il avait plu; la température désormais glaciale ajoutait de l’inconfort à cette saison lugubre. Le vent de l’équinoxe persistait à faire tourbillonner les dernières feuilles jaunes des arbres du campus pour les répandre dans les allées désertes, tandis que du ciel de plomb voletaient des flocons de neige blancs qui donnaient à la scène une touche hivernale imprévue.

Le vent d’est pour lequel Boston et ses environs sont fameux rabattait le grésil contre les carreaux de la chambre dans laquelle Reuel Briggs était assis, entre ses livres et son équipement d’expérimentation. La pièce lui servait de lieu de vie et de chambre à coucher. Briggs aurait pu vous dire que le dénuement et la désolation de son appartement étaient à l’image de sa vie, mais étant un homme tout en retenue, il savait souffrir en silence. Cet après-midi gris et pluvieux, sa morne promenade par-delà le pont de West Boston, dans les rues détrempées, n’avait fait qu’accentuer la solitude de sa situation, et sa journée avait été hantée de pensées morbides : à quoi bon s’acharner au travail pour se faire une place dans le monde — pour des habits, de quoi manger, avoir un toit ? Le suicide serait-il une erreur ? se demandait-il au milieu de ses tourments persistants. Dans la tempête, des voix et des mains avaient semblé tout au long du jour l’appeler à trancher le nœud gordien et à résoudre à tout jamais l’énigme de l’origine et de la destination.

Sa place dans le monde serait vite occupée ; aucun vide ne le demeurait ; l’éternel mouvement d’avancée de toutes choses comblait les brèches, et le cri du nouveau-né venait accroître la grande armée des mortels qui foulaient d’un pas pressé jusqu’aux derniers organes de la Terre mère. Il se tourmentait de la sorte depuis des mois, mais le courage lui manquait encore pour déchirer le voile. Il avait fait sombre de bonne


Pauline Hopkins

Écrivaine