Luigi Ghirri, sortir du décor – sur une exposition au Jeu de Paume
Luigi Ghirri (1943-1992) photographie les gens de dos. Ou alors de face mais de loin, ou avec des lunettes qui cachent l’œil, ou encore la main en visière. On ne voit pas leur regard. Il fait assez peu intervenir la figure humaine dans ses images cependant, mais cette tendance à montrer l’envers des gens est remarquable.
Les anti-photographes et la désincarnation de l’espace
Concernant le portrait d’humains, on peut donc dire que Ghirri opte pour la solution la moins frustrante. Il est en effet rigoureusement impossible de photographier quelqu’un de face, ou du moins les yeux dans les yeux. On ne photographie en effet alors que le rapport de l’artiste à son modèle, à savoir la tentative d’une saisie (et son échec) : le portrait ne représente jamais que la résistance du sujet à l’objectif. Ce qu’on voit, c’est un déni, une fermeture. Pour reprendre l’articulation husserlienne entre « corps » et « chair », disons qu’on n’est alors jamais dans la chair, qu’on ne peut pas prendre l’autre « sur le vif ». Cette problématique de la chair, du corps et de l’espace m’est en partie soufflée par la lecture de l’ouvrage de Benjamin Delmotte, L’architecture au subjonctif. Une phénoménologie de l’espace et de son aménagement.
Ghirri photographie les nouveaux lieux de l’Italie (et de Modène, sa ville, en particulier) après la seconde guerre mondiale, terrains de sports, magasins, plages, avec un goût particulier pour la représentation de représentations : les panneaux publicitaires, les cartes postales, les dioramas, le parc à thème l’Italie en miniature… Il fait, de ce côté-ci de l’Atlantique, pendant au travail d’un Ed Ruscha (Twenty Six Gasoline Stations, 1963) ou d’un Dan Graham (Homes for America, 1966), qui visent à vernaculariser, en quelque sorte, la photographie d’art : à lui ôter son habileté (la rendre « deskilled » comme aime l’écrire le critique Benjamin Buchloh) par des non-cadrages et l’usage de l’Instamatic Kodak – appareil de monsieur et madame Tout-le-m