Société

L’inceste comme atteinte au langage (1/2)

Sociologue

Comment comprendre les difficultés de la parole relatives à l’inceste ? Les sciences humaines et sociales permettent de préciser la spécificité de l’inceste, acte interdit sur le plan de la sexualité et impossible sur le plan de la parenté – et ainsi situé du côté du rapport entre le langage, les systèmes de parenté et les règles de la civilité sexuelle. Postface inédite de Dire, entendre, juger l’inceste, du Moyen Age à aujourd’hui, un ouvrage collectif sous la direction d’Anne-Emmanuelle Demartini, Julie Doyon et Léonore Le Caisneau à paraître aux éditions du Seuil.

L’ouvrage collectif Dire, entendre, juger l’inceste, du Moyen Age à aujourd’hui, sous la direction d’Anne-Emmanuelle Demartini, Julie Doyon et Léonore Le Caisne ouvre un nouveau champ de recherches interdisciplinaires sur l’inceste, en affrontant avec les méthodes de l’histoire, du droit, de la sociologie, de l’anthropologie et de la psychologie, trois grandes questions.

publicité

Quelles sont, d’hier à aujourd’hui, les normes sociales et juridiques prohibant l’inceste, dans quel contexte socioculturel prennent-elles leur sens, et quelles évolutions peut-on constater dans le temps long de l’histoire occidentale ? Comment et par qui les violences incestueuses sont-elles commises au sein des familles, en particulier sur des enfants, pourquoi et avec quels effets sont-elles tues ou à l’inverse dénoncées par les victimes et leur entourage, selon quelles procédures sont-elles punies ou non par la justice ? Et enfin que nous apprend la clinique « psy » au sens large – psychologie, psychiatrie, psychanalyse – des effets dévastateurs de ces violences incestueuses sur les jeunes victimes, filles et garçons, et sur les voies d’une possible résilience ?

À la lecture des riches contributions réunies dans ce livre, ce qui m’a frappée est le souci de penser à la fois la force de l’interdit de l’inceste et la fréquence longtemps sous-estimée de sa transgression. Dans cette perspective, les chapitres multiplient les éclairages sur les difficultés de la parole, que les victimes ne parviennent pas à parler, qu’on leur ferme la bouche, qu’elles se confient mais ne soient pas entendues, que règne dans l’entourage une forme de « tout le monde savait » décourageant toute révélation publique, qu’elles déposent une plainte bientôt classée sans suite ou encore que, lors d’une procédure judiciaire, le « parole contre parole » aboutisse à un non-lieu ou une relaxe.

Cependant, ce livre montre aussi que rien de tout cela n’est une fatalité. Les victimes d’inceste ont trouvé ces dernières décenn


[1] Voir en particulier Irène Théry, « Les trois révolutions du consentement, pour une approche socio-anthropologique de la sexualité », Les soins obligés ou l’utopie de la triple entente, actes du XXXIIIe congrès de criminologie, Paris, Dalloz, 2002 ; Moi aussi, la nouvelle civilité sexuelle, Seuil, coll. « Points Essais », 2024 (1ère ed. 2022).

[2] Claude Lévi-Strauss, Les structures élémentaires de la parenté, 2e ed., Mouton, 1967 (1ère ed. 1949).

[3] Émile Durkheim, « La prohibition de l’inceste et ses origines », L’Année sociologique, vol. 1, 1906-97, p. 1-70.

[4] Sigmund Freud, Totem et tabou, PUF, 2015 (1ère ed. 1913).

[5] J’analyse ces deux mythes dans Irène Théry, La distinction de sexe, une nouvelle approche de l’égalité, Odile Jacob, 1993.

[6] Claude Lévi-Strauss, Les structures élémentaires de la parenté, p. 14

[7] Ibid, p. 552

[8] Être obligé de donner sa mère ? Cette incongruité est analysée au chap. IV de La distinction de sexe, consacré à une analyse critique détaillée de la thèse de Lévi-Strauss.

[9] Dorothée Dussy, Le Berceau des dominations. Anthropologie de l’inceste, Pocket, 2021 (1ere éd. 2013).

[10] Je me réfère ici à l’expression célèbre de Ludwig Wittengstein : « Ce qu’il faut accepter, le donné, ce sont pour ainsi dire des formes de vie. »

[11] Émile Durkheim, « La prohibition de l’inceste et ses origines », p. 13.

[12] Ibid, p. 62.

[13] Cet essai figure dans Vincent Descombes, Le raisonnement de l’ours, et autres essais de philosophie pratique, Seuil, 2007, p. 394-408.

[14] Vincent Descombes, Les Institutions du sens, Minuit, 1996.

Irène Théry

Sociologue, Directrice d'études à l'EHESS

Mots-clés

#metooFéminisme

Notes

[1] Voir en particulier Irène Théry, « Les trois révolutions du consentement, pour une approche socio-anthropologique de la sexualité », Les soins obligés ou l’utopie de la triple entente, actes du XXXIIIe congrès de criminologie, Paris, Dalloz, 2002 ; Moi aussi, la nouvelle civilité sexuelle, Seuil, coll. « Points Essais », 2024 (1ère ed. 2022).

[2] Claude Lévi-Strauss, Les structures élémentaires de la parenté, 2e ed., Mouton, 1967 (1ère ed. 1949).

[3] Émile Durkheim, « La prohibition de l’inceste et ses origines », L’Année sociologique, vol. 1, 1906-97, p. 1-70.

[4] Sigmund Freud, Totem et tabou, PUF, 2015 (1ère ed. 1913).

[5] J’analyse ces deux mythes dans Irène Théry, La distinction de sexe, une nouvelle approche de l’égalité, Odile Jacob, 1993.

[6] Claude Lévi-Strauss, Les structures élémentaires de la parenté, p. 14

[7] Ibid, p. 552

[8] Être obligé de donner sa mère ? Cette incongruité est analysée au chap. IV de La distinction de sexe, consacré à une analyse critique détaillée de la thèse de Lévi-Strauss.

[9] Dorothée Dussy, Le Berceau des dominations. Anthropologie de l’inceste, Pocket, 2021 (1ere éd. 2013).

[10] Je me réfère ici à l’expression célèbre de Ludwig Wittengstein : « Ce qu’il faut accepter, le donné, ce sont pour ainsi dire des formes de vie. »

[11] Émile Durkheim, « La prohibition de l’inceste et ses origines », p. 13.

[12] Ibid, p. 62.

[13] Cet essai figure dans Vincent Descombes, Le raisonnement de l’ours, et autres essais de philosophie pratique, Seuil, 2007, p. 394-408.

[14] Vincent Descombes, Les Institutions du sens, Minuit, 1996.