Littérature

Mauvais genre et jour de gloire – sur Howard Phillips Lovecraft

Professeur de littérature anglaise

Éco-anxiété, collapsologie, xénophobie… Lovecraft avait déjà tout dans son échoppe, comme bien des auteurs de littérature gothique, horrifique ou de SF, véhiculant ces angoisses plurimillénaires. Unique, il fut parmi les meilleurs de son genre, comme le reconnaît la Pléiade en ce mois d’octobre. Quel est donc l’univers de celui qui, ayant tout annexé, tout vampirisé, et notamment le plus sombre de l’humanité, règne en maître sur la culture pop ?

Autrefois marginalisé, le mauvais genre a désormais pignon sur rue. Très exactement au 5 rue Gaston-Gallimard, puisqu’en cet automne paraissent, dans la prestigieuse Bibliothèque de la Pléiade, vingt-neuf histoires signées H. P. Lovecraft, sous la direction éditoriale de Philippe Jaworski, flanqué d’une petite troupe de collaborateurs talentueux. Providentielle concordance des temps ? Alignement des (lointaines) planètes ? Toujours est-il qu’on assiste à un tir groupé : sort au même moment un luxueux numéro spécial de la revue Métal Hurlant (« H. P. Lovecraft : murmures et chuchotements »), tandis que se profile à l’horizon un bel ouvrage illustré par le concept artist François Baranger.

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Les plus âgés d’entre nous se souviennent peut-être de la campagne au cours de laquelle la formule « l’enfer sur papier bible » s’affichait urbi et orbi, en quelque sorte. C’était en novembre 1990, et l’indignité sadienne s’apprêtait à être élevée à la dignité gallimardienne. Certes, la révolution Sade, la vraie, n’avait pas attendu ce moment de célébration chic et choc, mais force est de constater, trente-quatre ans plus tard, que l’expertise de Michel Delon, habile maître d’œuvre du Pléiade en question, a porté ses fruits : le « divin marquis » s’est fait une place au soleil sans perdre un pouce de sa glaçante part d’ombre.

Dans son « divin » sillage, ont suivi le Frankenstein et autres romans gothiques (2014), puis le Dracula et autres écrits vampiriques (2019), tous deux pilotés par Alain Morvan. Avec la parution du Lovecraft, se confirme le choix assumé du noir, et de son aventureuse cohérence. L’horrifique, le satanique, voire le putride ou le gélatineux ont désormais droit de cité au sein de l’institution dont ils concourent, à leur manière, à miner de l’intérieur les augustes soubassements. Du reste, ce n’est pas trahir un secret de la « maison » que de signaler qu’à la tombée de la nuit, les visiteurs quittant le pavillon où travaillent les équipes de la Pléiade e


Marc Porée

Professeur de littérature anglaise, École Normale Supérieure (Ulm)

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