Le divin génie de Scott Walker (1943-2019)
Dans le remarquable documentaire 30 Century Man (2006) de Stephen Kijak consacré à Scott Walker, décédé cette semaine, on découvre une scène proprement sidérante. Le chanteur et compositeur américain y précise à un ingénieur du son, même pas étonné, comment placer les micros pour la prochaine prise. Dans un énorme quartier de viande.
L’homme qui explique comment frapper la chair morte pour obtenir le son mat dont il a besoin pour un titre de son prochain album, The Drift, le fait sans forfanterie, sans esbroufe. Ce n’est pas un caprice de diva : c’est un besoin de musicien, d’esthète. La viande est juste pour lui un outil, un accessoire de studio, comme l’est le gigantesque sarcophage de bois qu’il a fait bâtir pour enregistrer une prise de batterie. Le geste est fou, l’idée est affolante. Mais Scott Walker, qui se tient à côté du bœuf mort comme s’il s’agissait d’une simple chambre d’écho, est parfaitement normal, logique, effacé.
C’est ce qui sidérait quand on rencontrait le Californien, émigré à Londres pour éviter le Vietnam : sa normalité, sa transparence presque. Comme s’il avait, à l’inverse des codes trop souvent établis du rock et de la pop, appliqué à sa seule musique toute la démesure, l’excentricité et la permissivité que l’on attend généralement d’une pop-star.
Là où tant de sulfureux étalons du genre conservent pour leur seul personnage public ce catalogue d’excès, d’audace et de risques, offrant une musique finalement prévisible et banale, Scott Walker jouait précisément la partition inverse. Toute sa folie était réservée à ses seuls enregistrements, lui-même s’éloignant au fil des albums de toute idée de représentation, s’effaçant devant l’ampleur et la complexité de son œuvre.
Pourtant, Scott Walker avait été une pop-star, l’une des plus célèbres et adulées du premier tsunami pop-music des sixties. Avec son groupe The Walker Brothers et une enfilade insolente de tubes – Make It Easy On Yourself, The Sun Ain’t Gonna Shine… –, ils furent pe