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Donald Trump ou la théorie du bouffon

Écrivain

Qu’il soit réélu ou battu ce 5 novembre, Donald Trump n’en aura pas moins rassemblé, selon les sondages, les suffrages d’un Américain sur deux. Un résultat qui ne laisse pas de heurter le bon sens et de défier la raison politique. À la veille de sa réélection possible, il est urgent de comprendre la mécanique de ce pouvoir « grotesque-autoritaire » qui allie la puissance d’attraction du grotesque et la séduction des pouvoirs fascistes.

La troisième campagne présidentielle de Donald Trump parachève par ses excès et ses outrances un parcours politique qui a dévasté tel un cyclone la scène politique américaine et mondiale. Et, face à ce cyclone, l’opinion publique éclairée est sans voix, partagée entre le scepticisme et la sidération, écrasée par un sentiment d’incompréhension qui n’a cessé de s’amplifier depuis le traumatisme de la victoire de Trump en 2016.

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Depuis cette date, la vie politique se donne à lire comme une succession de chocs, un parcours erratique que Barack Obama avait résumé au soir de la victoire de Donald Trump, en 2016, par ces mots : « L’histoire ne va pas en ligne droite, elle fait des zigzags. » La victoire de Donald Trump en 2016 ne constituait pas seulement une défaite électorale pour les démocrates, elle prenait en défaut tous les systèmes de prévision et d’alerte, elle ruinait la crédibilité des analystes et des commentateurs, et par conséquent échappait à toute logique à leurs yeux. C’était une anomalie politique, un événement extravagant qui n’entrait pas dans le scénario de la victoire annoncée de Hillary Clinton.

« L’une des choses les plus déconcertantes était que personne, quel que soit son degré d’érudition, n’avait une idée de ce qui se passait », se souvenait Michelle Goldberg dans un article du New York Times, « Anniversaire de l’Apocalypse », publié un an après l’élection de Trump. Dans son désarroi, elle s’était alors tournée vers des journalistes qui vivaient ou avaient vécu sous un régime autoritaire « pour tenter de comprendre comment la texture de la vie change lorsqu’un démagogue autocrate prend le pouvoir ».

Un journaliste turc laïc lui avait dit d’une voix triste et fatiguée que les gens pouvaient défiler dans les rues pour s’opposer à Trump, mais que les protestations finiraient probablement par s’éteindre et que « le sentiment d’une stupeur d’urgence céderait la place à une opposition soutenue ». L’écrivaine dissidente russe Masha Gessen avertissait qu’il était impossible avec un dirigeant qui assiège le tissu de la réalité de garder le sens de ce qui est normal : « Vous dérivez, et vous êtes déformé. » « Ils avaient tous les deux raison », conclut l’auteur de l’article.

À la Maison Blanche, le soir du 9 novembre, le résultat des élections laissa sans voix Obama et ses storytellers. « C’était aussi inconcevable que l’abrogation d’une loi de la nature », dira l’un d’eux.

L’événement n’entrait dans aucun récit disponible. Ce n’était pas seulement une surprise électorale, c’était un défi à tous les récits possibles. Dix fois, cent fois on avait parié sur l’élimination de Trump au cours des primaires, puis sur sa défaite face à Hillary Clinton, et l’animateur de téléréalité avait surmonté tous les obstacles… Il avait lancé un défi aux médias, à leurs récits de campagne, déniant leur agenda et leur rhétorique, bousculant l’image qu’on pouvait avoir d’un président, imposant ses outrances, sa rhétorique enfantine, son langage onomatopéique et ses mensonges… L’éditorialiste conservateur du New York Times Roger Cohen s’interrogeait : « Si vous dites “il y a quelqu’un qui veut être président des États-Unis et il ment tout le temps” et des millions de gens disent “OK, ouais, ce n’est peut-être pas bien, mais je vais voter pour lui quand même”, je pense que toute une analyse doit être faite là-dessus. »

Depuis cette date, les victoires électorales de Jair Bolsonaro au Brésil, Rodrigo Duterte aux Philippines, Boris Johnson au Royaume-Uni, Matteo Salvini et Beppe Grillo en Italie et Javier Milei en Argentine, élu avec près de 56 % des voix en 2023, après une campagne qui a relégué les excentricités de Trump au rang d’enfantillages, ont imposé un nouveau modèle de conquête du pouvoir, qui semble déjouer une certaine normalité politique. L’excès, l’outrance, le mensonge sont devenus la règle dans la compétition pour le pouvoir, qui semble échapper à toute mesure, et même à toute rationalité. À la veille de la réélection possible de Donald Trump en 2024, il est devenu urgent de prendre toute la mesure de cette hégémonie qui allie et confond la puissance d’attraction du grotesque et la séduction des pouvoirs autoritaires.

L’excès, l’outrance, la démesure n’ont pas cessé d’occuper la philosophie politique de Platon à Aristote et de Cicéron à Montesquieu. Comment la conjurer ? Comment lui fixer des limites ? Quel type de constitution adopter pour en limiter la portée ? Les Grecs lui opposaient les notions de tempérance, de modération qui ont traversé les siècles, passant de main en main tel un relai (de la sôphrosunè grecque à la moderatio cicéronienne), jusqu’à devenir la vertu cardinale du législateur avec Montesquieu, qui affirmait n’avoir écrit De l’esprit des lois qu’à la seule fin de prouver que « l’esprit de modération » doit être celui du législateur car « c’est la modération qui gouverne les hommes, et non pas les excès ».

Pourtant, la figure de l’excès que l’on a tendance à expulser de la sphère politique n’en finit pas de rebondir dans l’histoire politique ; elle se manifeste sous une multiplicité de figures historiques, adoptant les formes de la provocation, de l’insulte, de la parodie, de la caricature, que Michel Foucault a analysées sous la catégorie du pouvoir grotesque.

L’adjectif grotesque doit être entendu dans son sens premier. Selon le linguiste russe Mikhaïl Bakhtine, la « grotesca » désignait à l’origine des peintures ornementales découvertes à la fin du XVe siècle lors des fouilles effectuées à Rome dans les thermes de Titus. Bakhtine définit « la grotesca » comme le « jeu insolite » de ces figures caractérisées par le mélange des formes végétales, animales et humaines. Ce style inconnu venu du Moyen Âge et qui émergeait des grottes, on l’appela « la grotesca » pour désigner tout ce qui franchit les limites et mélange les genres.

Cette récurrence du grotesque dans l’histoire politique ne laisse pas d’interroger. « La Rome impériale », écrivait Michel Foucault dans son cours de 1974-1975 au Collège de France (Les Anormaux, EHESS/Gallimard/Seuil, 1999), « connaissait déjà très bien ces mécanismes de gouvernement à travers la disqualification quasi théâtrale de la personne de l’empereur ». Michel Foucault la qualifiait de « souveraineté infâme […] qui fait que celui qui est le détenteur de la majestas est en même temps, dans sa personne, dans son personnage, dans sa réalité physique, dans son costume, dans son geste, dans son corps, dans sa sexualité, dans sa manière d’être, un personnage infâme, grotesque, ridicule ». De Héliogabale, « faisant l’amour comme une femme », « accueillant la débauche par tous les orifices de son corps », en passant par Claude, asservi à sa femme, la vicieuse Messaline, à Néron, « qui ne rougit pas de se livrer aux actes les plus honteux avec hommes et femmes, qui aime se travestir et épouse son affranchi »…

Au XXe siècle, rappelle Foucault, les images de Hitler et Mussolini viennent aussitôt à l’esprit lorsqu’on pense au caractère grotesque du pouvoir, à ses mises en scène théâtrales. « Le pouvoir se donnait cette image d’être issu de quelqu’un qui était théâtralement déguisé, dessiné comme un clown, comme un pitre. » Ainsi le grotesque de quelqu’un comme Mussolini, qui est « absolument inscrit dans la mécanique du pouvoir », ou celui de Hitler, enfermé dans son bunker quelques heures avant son suicide, demandant qu’on lui procure des gâteaux au chocolat « jusqu’à en crever ». Mais il s’agissait d’un grotesque involontaire, non revendiqué par eux, non stratégique.

Hitler et Mussolini étaient grotesques par emprunt en quelque sorte, ils empruntaient directement les signes du grotesque aux excès des empereurs romains. Leur pouvoir singeait la représentation impériale romaine, ses signes, ses rituels, ses monuments et ses excès. Ubu roi d’Alfred Jarry, La Résistible ascension d’Arturo Ui de Bertolt Brecht ou Le Dictateur de Chaplin n’ont fait que souligner ce grotesque propre à la souveraineté arbitraire des deux dictateurs.

Lorsque Foucault parlait du « pouvoir grotesque », il n’avait pas sous les yeux le florilège d’absurdités et d’incompétences dont nous avons été témoins depuis l’élection de Donald Trump. Il ne s’agissait nullement pour lui de faire un usage polémique des mots « grotesques » ou « ubuesques » dans le but de disqualifier les hommes d’État qui seraient ainsi définis, mais de tenter de comprendre au contraire la rationalité de ce pouvoir grotesque, une rationalité paradoxale puisqu’elle se manifeste par l’irrationalité de ses décisions. « La souveraineté grotesque opère non pas en dépit de l’incompétence de celui qui l’exerce mais en raison même de cette incompétence et des effets grotesques qui en découlent […]. J’appelle grotesque le fait qu’en raison de leur statut, un discours ou un individu peut avoir des effets de pouvoir que leurs qualités intrinsèques devraient disqualifier. »

Avec une prescience remarquable, Foucault nous alertait contre l’illusion qui consiste à voir dans le pouvoir grotesque « un accident dans l’histoire du pouvoir », « un raté de la mécanique », alors qu’il constitue « l’un des rouages qui font partie inhérente des mécanismes du pouvoir ». Ce sont ces mécanismes qui sont systématiquement mis en œuvre par la kyrielle des bouffons apparus depuis 2016. « En montrant explicitement le pouvoir comme abject, infâme, ubuesque ou simplement ridicule, il s’agit de manifester de manière éclatante le caractère incontournable, l’inévitabilité du pouvoir, qui peut précisément fonctionner dans toute sa rigueur et à la pointe extrême de sa rationalité violente, même lorsqu’il est entre les mains de quelqu’un qui se trouve effectivement disqualifié. » « Le grotesque, affirmait Foucault, c’est l’un des procédés essentiels à la souveraineté arbitraire. »

Jamais les bouffons, les clowns et les pitres n’ont eu autant d’influence sur la vie politique. Grâce au pouvoir des réseaux sociaux, l’outrance est devenue une norme de la communication, qui permet de capter les attentions, et le burlesque, un nouveau style politique. Partout où se porte le regard, le grotesque semble avoir pris le pouvoir. Trump en a été la première manifestation, mais il n’a cessé depuis 2016 de se manifester partout dans le monde à la faveur de l’épidémie de coronavirus.

Partout où la tyrannie des bouffons réussit à s’imposer, son but ne doit pas être sous-estimé : détruire la légitimité de la politique, dernier obstacle à la dérégulation générale de la vie en société.

Max Weber distinguait trois types de domination légitime : la domination de nature rationnelle légale, la domination traditionnelle et la domination charismatique. Force est de constater que le pouvoir grotesque, par son insouciance, ses injonctions contradictoires, l’irrationalité de sa conduite, ne relève d’aucune de ces dominations légitimes. Tout d’abord, le pouvoir grotesque met à mal la domination de nature rationnelle légale, fondée sur le respect de la loi, sur la croyance en la légalité des règlements. Il ébranle la domination traditionnelle, qui s’autorise de règles, de coutumes, des habitudes dont elle assure la transmission.

Quant au pouvoir charismatique tel que l’avait défini Max Weber, fondé sur la grâce personnelle et extraordinaire et par « des qualités prodigieuses, ou des particularités exemplaires qui font le chef », il est non seulement dénié par le pouvoir grotesque, mais il est même retourné, inversé sous la figure du bouffon sans qualité. En lui, c’est l’homme commun, et non pas le chef doté de qualités prodigieuses, que les réseaux sociaux acclament. L’homme-clown de la téléréalité ou des talk-shows, magnifié et comme électrisé par les réseaux sociaux.

Partout où elle a réussi à s’imposer, la tyrannie des bouffons combine les pouvoirs fantasques du grotesque et la maîtrise méthodique des réseaux sociaux, la transgression burlesque et la loi des séries algorithmiques. Leur but ne doit pas être sous-estimé. Détruire la légitimité de la politique, dernier obstacle à la dérégulation générale de la vie en société. Substituer à l’impuissance politique la prise de contrôle de tous les aspects de la vie par la gouvernementalité algorithmique.

La logique à l’œuvre dans cette forme d’hégémonie nouvelle, c’est la logique du discrédit. Face au « cercle de la raison » qui a conduit le monde à la crise de 2008, s’est constitué un « cercle du discrédit » qui a trouvé dans les réseaux sociaux sa chambre d’écho, mais aussi son « format », sa syntaxe et ses codes, créant ce que l’on pourrait appeler une « sous-culture de l’incrédulité ». Confronté à la pandémie, le discrédit a pleinement démontré son pouvoir de nuisance et son énergétique perverse. Il a acquis la même puissance et la même vitesse de contagion que le virus lui-même et s’est répandu comme un incendie qui a gagné tous les discours autorisés, politiques, médiatiques, scientifiques, épidémiologiques.

Trois dates : 2008, 2016, 2020, comme autant de départs de feux. La crise financière de 2008 est le premier, et sans doute celui qui a fait le plus de ravages aux États-Unis et en Europe sur le crédit de la parole politique et qui a porté un coup fatal aux récits politiques sur lesquels reposaient tous les discours des gouvernants néolibéraux. Ce discrédit a trouvé dans les réseaux sociaux, apparus en 2005, une chambre d’écho qui a transformé le doute en colère et généralisé le soupçon. Le Brexit et l’élection de Donald Trump en 2016 ont légitimé les discours des « populismes » et révélé le rôle incendiaire des réseaux sociaux. Le décrochage des discours officiels, leur décalage par rapport à l’expérience concrète des hommes ont ruiné la crédibilité de tous les récits officiels. Troisième départ de feu : la pandémie du coronavirus, au cours de laquelle le discrédit a révélé son pouvoir de dissémination à l’échelle mondiale. La peur ancestrale des épidémies a muté sur les réseaux sociaux en un complotisme généralisé.

Le trumpisme est l’héritier présomptif de ces trois chocs de discrédit.

Aux Blancs déclassés, qui ont constitué le cœur de son électorat, Trump a offert une revanche symbolique, la restauration d’une supériorité blanche malmenée par l’essor des minorités dans une société de plus en plus multiculturelle. Il redonne du crédit aux perdants, non pas de la mondialisation, car Trump serait bien obligé d’y inclure des populations non blanches, mais à ceux qui se sentent menacés dans une société multiculturelle.

Et il le fait en utilisant les recettes de la téléréalité – transgression, outrance – car seule la téléréalité satisfait ce besoin de représentation, bien connu des cliniciens, qui se nourrit de l’impuissance à vivre. Un besoin de représentation que Donald Trump capte et transforme en un capital politique. La téléréalité s’était jusque-là cantonnée au divertissement. Donald Trump en a fait un instrument de conquête du pouvoir et de son exercice.

L’enjeu de cette élection va bien au-delà d’un simple choix démocratique entre des orientations politiques opposées, c’est un saut dans l’inconnu, une rupture de la rationalité politique. L’élection, qui jusque-là avait pour but de donner mandat, d’accréditer, fonctionne à rebours, elle est devenue l’expression du soupçon, elle jette le discrédit sur les hommes et les institutions démocratiques. Partout, le discrédit établit sa légitimité de manière paradoxale, non pas en se fondant sur le crédit au cœur du pacte de représentation, mais sur le discrédit qui mine toute croyance. Les émeutes du Capitole en 2020, fomentées par Trump, et la tentative d’empêcher la « certification » des résultats sont l’expression et la mise en scène d’une contestation plus large des procédures instituées de transition du pouvoir et d’alternance démocratique.

Les campagnes électorales sont devenues un exercice non pas instituant, mais destituant. Leur mode opératoire ne repose plus sur des récits crédibles, mais sur des blagues, des insultes, des provocations qui jettent le discrédit sur toutes les formes d’autorités (économiques, médiatiques, politiques, médicales). Avec Trump, il ne s’agit plus de gouverner à l’intérieur du cadre démocratique, mais de spéculer à la baisse sur son discrédit. Trump est un héros du soupçon qui a construit sa stratégie sur un paradoxe : asseoir la crédibilité de son « discours » sur le discrédit du « système », spéculer à la baisse sur le discrédit général et en aggraver les effets.

Avec Trump, le grotesque a remplacé le récit (et le carnavalesque, le romanesque) dans la conquête des cœurs et des esprits. « L’histoire est une blague », disait Henry Ford. Trump en a fait une politique. Il a lancé un défi au système démocratique, non pour le réformer ou le transformer, mais pour le ridiculiser. Son omniprésence sur Twitter est celle d’un roi de carnaval qui s’arroge le droit de tout dire et de jeter le discrédit sur toutes les formes de pouvoir. Loin de se présidentialiser une fois élu, il a ridiculisé la fonction présidentielle par ses foucades, ses sautes d’humeur, ses postures ubuesques. Trump connaît et maîtrise les lois de la téléréalité, où la liberté d’expression doit sans cesse donner des preuves par la transgression. Trump est une figure du trash de luxe, qui triomphe sous les signes du vulgaire, du scatologique et de la dérision. Il en incarne une sorte d’idéal-type, le plouc revêtu d’une patine de notoriété et doté d’une légitimité basée sur les milliards.

Après les capitaines d’industrie du capitalisme industriel au XXe siècle, le temps est venu des performeurs libertariens qui abhorrent toute idée de régulation économique, politique et… linguistique. Leur goût de la transgression ne connaît pas de limites, ni dans les actes ni dans les mots. D’où le caractère carnavalesque de leurs performances qui adoptent partout la forme d’une danse burlesque de milliardaires. Elon Musk en est la figure de proue, le roi des balivernes (« Baloney King ») selon le magazine The Atlantic.

Le chroniqueur Ian Bogost le qualifie, lui et ses semblables, de bullionaires (les milliardaires du bullshit) ! Les enfants de Logan Roy dans la série Succession en sont des modèles. Ils parlent le trash-talk comme beaucoup de stars dans l’univers des médias et des réseaux sociaux. C’est un trash-talk particulier. Un trash- talk de riches. Non pas le trash-talk de la rue, mais le trash-talk des yachts, non pas celui des rappeurs, mais celui des yuppies. La langue châtiée du pouvoir légitime est tombée dans la marmite bouillonnante de la scatologie et du porno. Le langage se réduit à des onomatopées, des gloussements, des interjections. Une négociation commerciale chez les Roy prend toujours la forme d’un viol et d’une dévoration. La métaphore reine de la série, c’est l’orgie. Il n’est question que d’empoignades sexuelles, de viols mémorables, d’enculages légendaires.

Ces bullshits de milliardaires ne sont pas de simples dérapages, des séquences calibrées pour choquer et stimuler l’audience, ils relèvent d’un mode de dérision qui préside aux échanges et vise à repousser la frontière de ce qui est dicible dans le débat public. L’indignation en fait partie. Elle souligne cette frontière, elle signale qu’elle a été franchie.

Elon Musk, qui a rétabli le compte Twitter de Trump après avoir racheté l’application, a proposé de renommer Twitter « Titter » (les nichons). À Thierry Breton qui lui demandait de se conformer à la législation européenne, il a répondu en partageant une image du film Tonnerre sous les tropiques, avec la réplique suivante doublée en français : « Tu vas pencher la tête bien en arrière et tu vas te l’enfoncer dans ton putain de fion ! »


Christian Salmon

Écrivain, Ex-chercheur au CRAL (CNRS-EHESS)