Géométries de l’impérialisme au XXIe siècle (2/2)
Après avoir abordé la question de l’impérialisme et la guerre puis celle de l’impérialisme et du capitalisme, j’en arrive au troisième point annoncé : l’intersection des questions de la culture et de l’impérialisme, que je traiterai en essayant d’évaluer la pertinence actuelle des analyses d’Edward Saïd.

Il est inutile de les résumer en détail, elles sont bien connues et figurent parmi nos principales ressources intellectuelles. Mais je veux faire voir pourquoi, à mon avis, la question de l’impérialisme ne peut pas être complètement problématisée sans le genre de « critique de la culture » qu’il a pratiqué et inspiré.
Saïd n’a jamais cessé de défendre l’idée que la littérature, les arts, la philosophie, l’histoire, sont des discours « en situation », qu’on ne saurait isoler des tendances politiques et sociales qui, dans une société donnée et sur une longue durée, coupée de révolutions, confortent une certaine « hégémonie ». Mais il n’a jamais cédé si peu que ce soit au réductionnisme sociologique : sa pensée est aux antipodes de l’idée que la culture forme une expression ou une superstructure du système de domination existant. Elle n’en dérive pas. Et c’est pourquoi il manquera toujours quelque chose à notre compréhension de ce qu’est l’impérialisme si nous croyons faire l’économie des questions qu’il a posées.
Je le redirai de la façon suivante : la culture telle qu’analysée par Saïd n’est pas l’expression ou l’instrument d’une domination (les deux variantes classiques de l’idée « marxiste » de superstructure), elle fonctionne comme une médiation politique de l’histoire qui se construit et produit ses effets dans l’élément du discours. Mais il faut faire un pas de plus : une telle médiation ne présuppose pas des sujets déjà donnés, à l’identité fixée, à qui elle fournirait des moyens d’expression. Au contraire, elle les constitue « performativement » par ses opérations d’énonciation et de réception.
C’est pourquoi la culture n’est pas séparable du conflit