Art contemporain

Hélène Delprat : « Dans la peinture, on ne peut pas faire l’économie du temps »

Sociologue

La Biennale de Lyon et le festival d’art numérique OVNi, organisé à Nice et dans les villes alentours, mettent le travail d’Hélène Delprat à l’honneur. L’enfant terrible de l’art y dévoile à Saint-Jean-Cap-Ferrat une œuvre vidéo consacrée à Nicole Stéphane, « célèbre inconnue » du cinéma français d’après-guerre, figure, elle aussi, d’« enfant terrible » du film de Cocteau.

«Je trouve qu’il n’y a rien de barbare et de sauvage dans ce peuple, sinon que chacun appelle barbarie ce qui ne fait pas partie de ses usages » : on situerait bien volontiers le travail d’Hélène Delprat dans cet écart, décrit par Montaigne[1], entre ce qui nous repousse et ce qui, après examen, n’était peut-être pas si terrifiant. Il est question, chez Hélène Delprat, de monstres gentils, de barbapapas, de spectres et de toutes ces ballades de pendus qu’on croise chez Bosch, chez Ensor, chez Redon… L’artiste touche-à-tout qui avait pris ses distances avec le monde de la peinture au milieu des années 1990, après dix ans passées à la galerie Maeght, est aujourd’hui tout autant peintre que vidéaste, scénographe ou créatrice de programmes radiophoniques. Elle vient d’intégrer la prestigieuse galerie Hauser & Wirth, qui lui a consacré une exposition, intitulée Monster Soup, l’hiver dernier.

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La biennale de Lyon met aujourd’hui son travail à l’honneur, tout comme le festival OVNi, organisé à Nice et dans les villes alentours. L’installation vidéo A Displaced Person, visible à la villa Ephrussi de Rothschild à Saint-Jean-Cap-Ferrat donne suite à un travail entamé il y a de nombreuses années par Hélène Delprat autour de la personne de Nicole Stéphane. Celle-ci, née Nicole Rothschild, a été dirigée par Cocteau, filmée par Melville, et aimée par Susan Sontag. L’installation se présente comme un film d’une cinquantaine de minutes, sorte de carnet de notes vidéos, nous montrant Nicole Stéphane, le plus souvent filmée de face, racontant le siècle et autour d’elle les Nazis, les communistes torturés de Barcelone, l’espion tchèque, et puis Duras, Rappeneau, Seyrig et tant d’autres… La caméra capture cette légèreté, l’aménité d’une personne de plus de quatre-vingts ans, dont les amusements semblent noués, parfois, par la gravité de ce qui est dit. Montaigne, sachant lui aussi les horreurs de son siècle, prolongeait ainsi le chapitre des Essais, cité plus haut, consacré aux populations cannibales : « Nous pouvons donc bien les appeler barbares, par rapport aux règles de la raison, mais certainement pas par rapport à nous, qui les surpassons en toute sorte de barbarie. » B.T.

Il faudrait commencer par présenter Nicole Stéphane comme une grande inconnue du cinéma français. Avant de jouer, elle avait été résistante, agent de liaison à Londres, elle avait filmé le débarquement en Normandie. Puis elle a été actrice pour Melville, assistante de Franju, productrice de films… Au croisement de tous ces rôles, de toutes ces aventures, qui était Nicole Stéphane ?
Nicole Stéphane a été comme cachée par ce rôle d’Élisabeth dans Les Enfants terribles et par celui de la nièce dans Le Silence de la mer. Ce sont des expériences qui font de vous des icônes, exactement comme c’est arrivé au jeune homme qui interprétait Tadzio dans Mort à Venise. Une vie peut être ainsi complètement brisée. Enfin, il y a quand même des gens comme Jean-Pierre Léaud, qui ont été révélés, enfants, mais qui ont réussi quelque chose de magnifique toute leur vie.
Nicole Stéphane, effectivement, personne ne sait qui c’est. Elle a été effacée par son succès, paradoxalement. Nicole était l’héroïne des Enfants terribles de Cocteau, d’accord, mais qui regarde Les Enfants terribles encore aujourd’hui ? Est-ce que ça n’a pas vieilli ? Évidemment, les acteurs sont vraiment ceux d’une époque — Jacques Bernard, Édouard Dermit —, et ils jouent de manière très expressive. Nicole Stéphane est complètement tragédienne par exemple, dirigée dans l’excès plutôt par Cocteau que par Melville à mon avis.

Comment avez-vous fait connaissance ?
Avant de rencontrer Nicole Stéphane, j’avais quitté la galerie avec laquelle je travaillais. J’avais tout quitté en vérité. J’étais dans mon coin à vouloir faire des choses inhabituelles. J’en suis venue à proposer à France Culture le projet de réunir les « rescapés » des Enfants terribles : Claude Pinoteau, Carole Weisweiller, Annabel Buffet. Cette dernière, qui avait fait seulement un peu de figuration dans le film, a décliné ma proposition. Et puis, Jacques Bernard et Nicole Stéphane.
Le projet a été mené à bien, s’est très bien passé. Un beau jour, je l’ai appelée en lui demandant si elle voulait bien que je fasse un film sur elle, moi qui n’avais jamais fait quoi que ce soit de ce genre. Elle a refusé au début, alors j’ai tenté un numéro de charme : « Écoutez, sincèrement je pense que la personne qui devrait faire un film sur vous c’est Chantal Akerman, mais elle ne le fera pas, je pense, même si vous la connaissez. Alors, je pourrais le faire ? Ce ne sera pas un film terrible mais c’est toujours mieux que rien ! ». Finalement, elle a dit oui. Je suis allée lui rendre visite une fois par semaine, une fois par mois, quelques fois elle annulait le matin même, quelques fois elle reportait le rendez-vous… Et puis non. Elle avait déjà presque quatre-vingts ans à ce moment-là. Je partais avec mon vélo et mon bazar, ma caméra, tout cela pour seule petite équipe.

Vous aviez énormément de matériaux à travers les séances passées devant la caméra. En particulier, une partie de ce que vous avez filmé alimente une œuvre présentée en ce moment pour la Biennale de Lyon. Dans le cadre du festival OVNi, quels choix ont présidé à la sélection des images présentées dans le film ? Que vouliez-vous montrer par ce montage particulier ?
Il y a deux films, deux versions. Celle qui est exposée pour le festival OVNi dure une heure ; la seconde dure le double et contient beaucoup d’éléments sur la famille de Nicole Stéphane, son éducation, puisqu’elle était, comme elle disait elle-même, une « gosse de riche ». Cela se passait au château de la Muette, à l’Abbaye des Vaux-de-Cernay, dans des endroits effroyables pour une enfant et qui sentent l’éducation aristocratique à la mode, presque, du XIXe siècle. Mais son témoignage est aussi plein de contrastes : sa mère s’occupait des réfugiés de la guerre d’Espagne, son père vendait des tableaux, ils avaient un train de vie excessifs, et Nicole, née Rothschild, avait été scolarisée dans une école communiste — vous imaginez ! Le contraste, l’excès caractérisaient vraiment Nicole, qui était tout sauf une personne tiède. Elle était excessive, c’est pour ça qu’elle devait être chiante. La seule chose que je n’ai pas abordée, c’est la sexualité. Nicole n’en parlait pas ou alors de manière extrêmement subtile, mentionnant Susan Sontag. C’étaient des petits points comme cela… Mais nous n’avons jamais parlé de son homosexualité.
Ce qui m’a beaucoup intéressée, avant les Enfants terribles, avant Le Silence de la mer, c’est bien sûr toute cette séquence de la guerre, et les aventures à ce moment : la fugue, le voyage au Portugal où elle a commencé à photographier des paysans… Elle est allée à Paris dans un cours de théâtre, elle est allée à Cannes, elle s’est formée militairement avec sa sœur Monique chez les cadets de Ribbesford, en Angleterre… Tout cela, elle a su le raconter sans jamais aucun drame, elle avait trop peur de faire ancien combattant. La prison à Barcelone, la traversée des Pyrénées où elle parle de ce Bessarabien et de son impayable chapeau… Rien de ce qu’elle raconte ne semblait dramatique ! La peur est comme adoucie par son récit, par les autres personnages et les autres paysages, les autres éléments. Elle a les Allemands aux trousses mais elle me décrit l’oiseau qu’elle a vu picorer… Voilà ce que j’ai toujours trouvé magnifique chez elle, son témoignage toujours contrebalancé. Elle se trouvait immature, intéressante, catastrophique : il me semble qu’elle était très sensible, au contraire, marquée et abîmée par son éducation, dans un monde où les enfants n’étaient pas élevés par les parents, où ils les voyaient peu, seulement en robe du soir.

Ce qui frappe dans les extraits filmés de Nicole Stéphane racontant ses souvenirs, c’est cet écart, complètement paradoxal entre le caractère précaire de ces souvenirs – certains sont oubliés, restitués comme des fragments, certains semblent imparfaits – et l’absolue réalité dont ils témoignent : une réalité dramatique, grave, solidifiée par cette proximité du danger et de la mort.
C’est pour cette raison aussi que j’ai employé des subterfuges pour avoir des témoignages continus. La ruse de guerre que tout le monde connaît, c’est de laisser tourner la caméra le plus possible, de s’absenter hors de la pièce où on filme et de laisser la caméra fonctionner. Je lui faisais répéter, raconter plusieurs fois les mêmes choses à plusieurs journées d’intervalle pour que la mémoire se remette en route et pour qu’elle évacue certaines choses, qu’elle oublie aussi ses automatismes, qu’elle s’y prenne autrement. Je lui disais : Si vous m’envoyez une carte postale de la traversée des Pyrénées, qu’y a-t-il sur cette carte postale ? C’est une vie qui est traversée par la guerre, la Seconde Guerre mondiale, bien sûr, mais aussi la guerre racontée, la guerre des autres. Quelques années après 1945, elle tourne Le Silence de la mer avec Melville, chez Vercors, dans sa propre maison. Le film devait passer devant une commission de résistants pour être accepté – c’était le deal qu’avait fait Melville avec Vercors. Juste après, pour Les Enfants Terribles, aussi tourné par Melville, Nicole est partie interviewer Ben Gourion au moment de la création de l’État d’Israël… Et puis elle a connu aussi la guerre à Sarajevo, où elle s’est déplacée avec Susan Sontag, c’est là-bas qu’elle a produit le film En attendant Godot. N’oublions pas aussi qu’elle a fait un film médical, où elle filme l’opération d’un cerveau et qui s’appelle Les hydrocéphalies communicantes. Elle a cherché à faire des choses intéressantes, avec Franju à l’époque.

Il n’y a pas que la guerre dans ces souvenirs, mais également une galerie de portrait d’un véritable monde de l’art à l’époque, où l’on croise Delphine Seyrig, Marguerite Duras, Jean-Paul Rappeneau, Jean Cocteau évidemment, mais aussi Luchino Visconti, qui est évoqué puisque Nicole Stéphane avait le projet, avec lui, d’adapter à l’écran À la recherche du temps perdu de Marcel Proust.
On connaît ce projet aujourd’hui. Proust à l’écran, c’est Raoul Ruiz, c’est Chantal Akerman… Mais quand Nicole Stéphane a entrepris d’acheter les droits de la Recherche, cela semblait une folie ! Visconti tournait à ce moment-là « un petit film », disait-il, qui était Mort à Venise. Finalement, il avait préféré tourner Ludwig plutôt que la Recherche, et Nicole finit par détester Helmut Berger, qu’elle tenait responsable du refus de Visconti.
Après, c’est allé de Charybde en Scylla. Il y a eu Peter Brook, Flaiano, et puis François Truffaut, qui lui répondit très abruptement que puisqu’elle avait aussi proposé l’adaptation à René Clair, Truffaut ne pouvait accepter, refusant de « passer après un boucher »… Et le film de Volker Schlöndorff, Un amour de Swann avec Alain Delon, n’est pas terrible. Il n’est pas bon, et Nicole le savait. Elle m’a confié un jour : « Finalement j’aurais dû demander à Godard, j’étais bien con. »
Plus généralement, elle recevait beaucoup de monde chez elle : je me souviens d’y avoir croisé un jeune homme, justement, qui avait signé un essai sur Proust au cinéma. Mais on trouvait aussi chez Nicole des gens des éditions Bourgois, Patti Smith, Susan Sontag, évidemment… Elle était constamment branchée sur France Culture, elle savait très bien ce qui se passait et je lui apportais ce que je vivais de mon côté, les nouvelles du front, des choses qui l’amusaient.

On a du mal à ne pas projeter sur ce paysage artistique et intellectuel une espèce d’unité, une forme de trame de gens qui se fréquentaient, qui se connaissaient tous dans un grand maillage de personnalités collaborant ensemble. Qu’est-ce qui distingue cet écosystème de celui qui est le nôtre aujourd’hui ?
Je pense que quand on a le nez sur l’époque actuelle, on la voit mal. Mis à part cela, il ne me semble pas qu’il y ait des différences entre l’époque passée et l’époque présente quant à l’intérêt des gens pour la politique et pour ce qui se passe dans le monde. Néanmoins, la situation me semble plus étouffante aujourd’hui parce qu’on connaît plus de choses, qu’une masse d’informations sur les États-Unis, sur l’Ukraine ou sur Israël nous atteint. Je ne dis pas qu’il se passait rien à l’époque de Nicole Stéphane, mais peut-être qu’il y avait davantage la place pour une légèreté qui nous est complètement impossible à mon sens aujourd’hui. Il faut ajouter aussi l’effet de Jean Cocteau et de son environnement. Il représente une figure particulière, un peu glamour, avec tout ce que cela peut avoir d’agaçant, mais qui a été idéalisée aussi. C’était une personne extrêmement vive, vivace, qui se mêlait de tout ; « je saute de branche en branche, mais toujours sur le même arbre », disait-il.
N’oublions pas non plus le caractère trépidant de l’après-guerre. C’est tout à fait sensible dans certaines scènes que racontait Nicole, quand elle rencontrait Colette, au Palais Royal, au restaurant, ou sur cette photographie où elle apparaît tout sourire dans cette espèce de voiture décapotable… C’était la joie totale et d’autant plus explosive chez ceux qui avaient risqué les camps, qui s’en sont sortis par chance. Mais je ne suis pas du tout passéiste. Cette après-guerre-là, qu’on voit dans certains films, dans la Belle et la Bête de Cocteau, fait aussi un peu suranné.

Vous êtes donc, avec A Displaced Person, partie prenante d’un festival dans lequel de nombreuses œuvres d’art numérique sont présentées. Cette participation vous incite-t-elle à oser un nouveau format artistique, vous qui êtes déjà passée par la peinture, le théâtre, la radio, la vidéo… ? Est-ce que l’art numérique pourrait être une nouvelle branche à votre arbre ?
Je n’ai de fascination que pour ce qui est raconté. La technique pour la technique je m’en moque, elle ne m’intéresse pas beaucoup. Mettre en avant la virtuosité de la 3D, des jeux de caméras, des systèmes immersifs, ne m’impressionne pas. La réalité virtuelle, par exemple, me semble souvent mise au service d’images assez laides, d’une esthétique qui paraît même déjà datée. Il y a des choses qui portent déjà en leur naissance leur fin. Peut-être que ces inventions, techniquement, sont passionnantes et que je l’ignore. Mais dès qu’une œuvre tourne à la démonstration, à la gonflette, ou qu’elle sent l’huile de coude, cela m’ennuie.
Nicole Stéphane, ou d’autres, sont des gens qui avaient appris le silence. Édith Scob confiait qu’elle avait appris le silence avec Claude Régy. J’aime aussi beaucoup cette phrase d’André Wilms, l’acteur, qui dit que le silence est un acte révolutionnaire. C’est ça qui m’intéresse plutôt que le commentaire en permanence, plutôt que de vouloir faire montre ou se mettre en avant.
Mais, il y a aussi des œuvres numériques qui peuvent me marquer. J’ai vu quelque chose de très beau au 109, une installation cinétique et architecturale de Thomas Garnier qui s’appelle Taoti : « Une installation basée sur une réinterprétation technologique du spectacle, de la Fantasmagorie, théâtre d’ombres et de projections d’images populaire au XVIIIe siècle. Au lieu d’y dépeindre fantômes et apparitions, elle fait usage d’une plateforme robotique mouvante pour mettre en lumière un paysage de sculptures évoquant des espaces de stockage et logistiques contemporains. » Je trouvais ça magnifique ! C’est minimal et c’est ce qui me convient.

Vous serez de nouveau exposée dans les Alpes-Maritimes en 2025, puisqu’une exposition est en ce moment en préparation à la Fondation Maeght de Saint-Paul-de-Vence. Pouvez-vous nous décrire, en avant-première, de quoi cette exposition sera constituée ? On sait également que vous n’aimez pas revoir votre travail. Comment avez-vous abordé l’exercice d’auto-analyse et de sélection des œuvres auquel il a bien fallu vous astreindre pour la préparation de cette exposition ?
L’exposition va mélanger des peintures de cette année et d’autres plus anciennes qui datent de la période 1982-1984. Mais ce n’est pas un retour en arrière, puisque j’ai quitté la galerie Maeght il y a bien longtemps. Je n’ai jamais regretté d’avoir reculé pour mieux sauter. Il n’y a aucune nostalgie, il n’y a pas d’intention rétrospective. On trouvera de l’autoportrait, de la peinture sur la guerre ou encore des références à ma première exposition, à la Villa Médicis, qui était anonyme. Il y aura aussi deux vidéos, pas davantage. Ce sera relativement sobre. En effet, c’est parfois une angoisse de revoir ces tableaux pour préparer l’exposition et le catalogue. C’est trop de soi face à soi, c’est un encombrement, l’impression d’être envahie par soi-même.

Vous avez longtemps enseigné à l’École des Beaux-Arts. Comme tous les professeurs soucieux d’aller au-delà de la simple transmission de savoir, vous encouragiez aussi les étudiants à déborder, à penser différemment. Comment, concrètement, on apprend aux étudiants à trouver leur personnalité artistique, à l’assumer, à se distinguer chacun de tous les autres ?
Il faut parler. Mais ne pas parler de soi, sauf quand on me le demande. Je ne dis jamais : « quand je faisais comme ci, quand je faisais comme ça », pas question, c’est le registre du vieux con paternaliste. Pour le reste, l’enseignement m’apparaît comme une improvisation théâtrale. On fait face à un étudiant et parfois on dit des choses qu’on n’avait absolument pas prévu de dire, et qui ne semblent pas si bêtes après coup !
En tant que cheffe d’atelier, j’avais toutes sortes d’étudiants hormis des peintres. Il m’est difficile de parler de peinture. De la peinture des autres, pourquoi pas, mais parler de peinture en général me fait risquer de tomber dans le poncif. Je ne suis pas particulièrement douée pour parler de peinture, il me faut parler à côté pour parler de. Mes anciens étudiants font de la musique, sont devenus chanteurs, font des films… Je leur enseigne plutôt une forme d’ouverture d’esprit depuis la peinture. Mais j’ai toujours averti tous les étudiants qui n’envisageaient pas de passer leur vie à peindre que ce n’était même pas la peine de commencer. Dans la peinture, on ne peut pas faire l’économie du temps. Notre vision est complètement accaparée par elle, ce ne peut pas être quelque chose d’anecdotique : un peu de peinture le dimanche ; ou alors on est un amateur – et c’est déjà très bien – mais on n’est pas peintre ! Avoir la peinture comme loisir, ce n’est pas la même chose que de s’emmerder, avec notre propre consentement et notre propre masochisme, à voir tout par le prisme de la recherche… Et sans avoir l’assurance que cela ne s’arrête pas un jour !


[1] Voir le chapitre XXXI des Essais.

Benjamin Tainturier

Sociologue, Doctorant au médialab de SciencesPo

Notes

[1] Voir le chapitre XXXI des Essais.