Cinéma

De la grande roue au grand tout ? – sur Grand Tour de Miguel Gomes

Critique

Prix de la mise en scène au dernier Festival de Cannes, Grand Tour repose sur un sacré pari, amalgamant « mission documentaire » dans sept pays d’Asie et fiction distanciée, relecture de l’imaginaire (colonial ?) d’il y a un siècle. Mais le film est conscient des risques qu’il prend, les esquivant en repartant à la conquête d’un émerveillement originel du cinéma, pas totalement perdu, donc.

Grand Tour pourrait commencer là où s’arrêtait L’Eclipse en 1962. À la fin du film d’Antonioni, ni Vittoria (Monica Vitti), ni Piero (Alain Delon) ne venaient au rendez-vous qu’ils s’étaient fixés. Ils s’étaient posés un lapin, non seulement à eux-mêmes, mais aussi à la caméra qui imperturbablement continuait à enregistrer les ambiances des lieux de leurs supposées retrouvailles : perspectives de rues désertées, fragments de façades et d’échafaudages, passages silencieux des voitures et des bus… L’histoire était finie. La scène était désinvestie. Malgré l’évaporation des personnages, le film continuait pour lui-même, comme pure attente et interrogation. Geste moderne sublime, à la fois théorique et sensible, ré-explorant les possibilités du médium cinéma comme mise en capsules du présent.

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Grand Tour raconte aussi l’histoire d’un couple qui n’arrive pas à se retrouver. Ils ont même besoin de parcourir la moitié du continent asiatique, pour espérer trouver une scène commune (à tous les sens du terme). Si la filiation avec Antonioni est peut-être écrasante pour Miguel Gomes, son film dégage le même mélange de sophistication et de simplicité désarmante dans ce projet de « filmer ce qui n’arrive pas », dans un jeu de piste qui passe de l’échelle du quartier à celle du monde et du siècle. Pour autant, Gomes ne verse pourtant pas dans « l’antonionisme ». Ses personnages ne se complaisent pas dans l’attente et sont animés d’une impatience qui les pousse au jeu de saute-frontières. Le récit, tout en sauts de puce géographiques et temporels, tient plutôt de la poursuite feuilletonesque que de la suspension alanguie.

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