Roman (extrait)

La maison du magicien

Écrivain

Mario Trevi était un psychanalyste jungien renommé, et père d’un fils qui ne l’est pas moins parmi les plus intéressants écrivains italiens aujourd’hui. Un père avec une fabuleuse capacité à se réfugier dans son « arrière-boutique» intérieure. Après sa mort, ledit fils décide de s’installer chez lui et assiste à de mystérieux déplacements d’objets. Le prologue du roman, en avant-première de sa publication en janvier chez Philippe Rey, donne le la. Dans une traduction de Nathalie Bauer.

« Tu sais comment il est »

« Tu sais comment il est. » Quand ma mère me parlait de mon père, elle allait droit au but, toujours le même : pour affronter n’importe quel problème posé par cet homme énigmatique, ce Rubik’s Cube souriant et moustachu, il fallait savoir-comment-il-est. Alors que je réclamais ses lumières, elle me repoussait dans les ténèbres les plus sombres d’un perpétuel tic de langage, qui ressemblait davantage à une formule magique qu’à une pensée rationnelle : « Tu sais comment il est. » D’ailleurs, à l’évidence elle l’ignorait elle-même, nul ne le savait – même pas, peut-être, l’Enfant Jésus, qui connaissait immanquablement les secrets du cœur les plus cachés, comme me l’assuraient les religieuses en classe. Mais, remâchais-je, pourquoi chacun devrait-il être d’une certaine façon, obligeant les autres, pour leur bien, à le savoir ? Ne pourrions-nous pas être, simplement, tous identiques ? À l’époque, j’étais un enfant très normal, parfaitement adapté : une version en miniature de l’adulte que je deviendrais, dépourvu de pics et de gouffres. J’avais tendance à prendre les maximes de ma mère pour argent comptant, toutefois j’ai continué de détester cette façon de parler presque autant, au moins, que la célèbre énormité « Connais-toi toi-même ». Je me suis toujours fichu de me connaître moi-même et de savoir comment sont les gens. Quant au premier point, j’ai la sensation que, si l’on avance comme on peut dans la vie, on le fait en général inconsciemment : à son insu, pour ainsi dire. Moins on se connaît, mieux on se porte. Quant aux autres, ce qui compte le plus, à mes yeux, ce n’est pas comment ils sont, mais qu’ils aient de l’affection pour moi. Je suis comme les chiens, j’attends une caresse, un petit biscuit. Les chiens ne se connaissent pas et ne savent pas comment sont les êtres. Pour eux, la seule vérité au monde consiste en cette caresse, en ce petit biscuit.

Tu. Sais. Comment. Il. Est. L’oracle menaçant commença à retentir dans les propos de


[1] Carlos Castaneda, L’herbe du diable et la petite fumée, traduction de Michel Doury, Paris, Christian Bourgois Éditeur, 1984. (Toutes les notes sont de la Traductrice.)

[2] Les mots et expressions en italique suivis d’un astérisque sont en français dans le texte.

[3] Ce film de Ted Kotcheff (Weekend at Bernie’s, 1989) porte en italien le titre plus évocateur de « Week-end avec un mort ».

[4] 1. Voleur et criminel, héros de la célèbre bande dessinée du même nom qu’Angela et Luciana Giussani créèrent en 1962 en s’inspirant de Fantômas et d’Arsène Lupin.

 

Emanuele Trevi

Écrivain, Critique littéraire

Notes

[1] Carlos Castaneda, L’herbe du diable et la petite fumée, traduction de Michel Doury, Paris, Christian Bourgois Éditeur, 1984. (Toutes les notes sont de la Traductrice.)

[2] Les mots et expressions en italique suivis d’un astérisque sont en français dans le texte.

[3] Ce film de Ted Kotcheff (Weekend at Bernie’s, 1989) porte en italien le titre plus évocateur de « Week-end avec un mort ».

[4] 1. Voleur et criminel, héros de la célèbre bande dessinée du même nom qu’Angela et Luciana Giussani créèrent en 1962 en s’inspirant de Fantômas et d’Arsène Lupin.