Ébats et débats
Il voulait que son dernier livre, celui-ci donc, ait bien plus d’épaisseur que ses précédents. Épaisseur, au sens volumétrique de ce terme. Et aussi, que son élaboration demande beaucoup plus de temps que les autres n’en avaient demandé. Que cela s’éternise. En somme les vœux qu’il formule pour son livre, il pourrait tout aussi bien les formuler pour sa vie, celle qui court parallèlement à son livre. Belle découverte s’il en fut : son livre, c’est sa vie même. Écrivant son livre, c’est sa vie même qui bruisse, et respire et se colore. Rien d’étonnant, dès lors, s’il souhaite que cela dure longtemps, le plus longtemps possible, et que cela, pour lui, ait une envergure inouïe. Peut-être qu’après tout l’écriture et la vie ne sont pas toujours si antinomiques. La preuve : faire durer le plaisir d’écrire – et d’écrire ce livre-là – c’est du même coup faire durer sa vie même.
Un souvenir lui revient en mémoire, un peu ridicule, un peu puéril, un peu honteux à raconter. Cela met précisément en jeu le temps et le volume. Le rapport entre les deux, et leur rapport conjoint au livre qu’il était alors en train d’écrire. C’était un calcul tout bête. Au bout de quelques pages, il se remémorait la date à laquelle il avait commencé son « œuvre ». Et il mettait en relation le temps écoulé et le nombre de pages qu’il avait écrites. Et de supputer la taille de son livre à venir à telle date raisonnable, ou bien au contraire, la date à laquelle vraisemblablement un livre de belle taille serait achevé. Ces opérations lui coûtaient une concentration extrême, car au lycée les mathématiques n’étaient pas son fort. Mais de quelle prouesse n’était-il pas capable pour le bien de son œuvre !
Mon ami Troubetzkoy, fine mouche, à qui je raconte cette anecdote, entend me pousser dans mes retranchements. Il voudrait que je lui avoue le sens que j’attribue à ces gestes. Lui-même a bien entendu une idée derrière la tête, qu’il m’expose, ou plutôt qu’il voudrait m’entendre moi-même énoncer. Nous ne t