International

Israël comme métaphore(s) ou le « style de pensée » d’Eva Illouz

Anthropologue

Essai représentatif de nombreuses prises de position depuis le 7 octobre, Généalogie d’une haine vertueuse d’Eva Illouz évacue l’Histoire et la politique pour ne laisser place qu’à un antagonisme ami-ennemi centré sur Israël. En effaçant la politique israélienne, notamment à Gaza, et en autonomisant Israël de la Palestine, elle propose une vision déshistoricisée d’Israël autour de la seule question juive, rejetant ainsi toute critique sur les racines politiques du conflit.

En 1995, dans un entretien portant sur la poésie, Mahmoud Darwich aborde la question de l’importance de l’Histoire, celle par laquelle depuis 1948 la vie des Palestiniens, donc la sienne, se trouve être intimement et concrètement mêlée à celle des Israéliens[1].

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La création de l’État des uns ayant entraîné l’exil des autres, l’Histoire, choc des exils, en comprend donc deux, inconciliables : « L’État d’Israël a été fondé métaphoriquement sur la négation de l’exil juif et concrètement sur l’exil palestinien (Nakbah), suivi par son refoulement[2]

Si cet entretien vieux de trente ans conserve aujourd’hui une actualité, c’est que Darwich éclaire en quoi la « grande fête de la mort »[3] en cours à Gaza, la destruction, olivier par olivier, famille par famille, de la Cisjordanie, continue de poser la question de l’Histoire, à partir de sa forclusion et de son déni. En effet, ce déni entraîne avec lui celui de la politique et sonne ici comme une incitation à la perpétuation du massacre en Palestine, tout en travestissant le judaïsme en petit impérialisme – Liban, Syrie. Ce déni est, logiquement, au cœur des enjeux de la nomination du 7-Octobre[4].

À cet aune, que si nombreux, ou plus bruyants, soient ceux qui affirment que l’enjeu politique premier, en dépit de la dévastation en cours à Gaza, est l’antisémitisme, n’est pas le fruit du hasard, de la seule faillite morale voire de la culpabilité ; y compris pour l’Allemagne qui vient de se constituer en avant-garde de l’essentialisation du nom juif mais, cette fois-ci, à partir de celle de l’État d’Israël[5]. Notre hypothèse est que cette polarisation sur le seul antisémitisme est, dans le cas présent, l’un des effets de l’Histoire israélo-palestinienne, selon qu’on la considère ou qu’on la dénie. Ici, « l’axiome de Thucydide » tel que formulé par Jean-Claude Milner est opératoire : « la langue de l’histoire et la langue de la politique sont une seule et même langue[6]. La langue de la politique étant également c


[1] Mahmoud Darwich, La Palestine comme métaphore, entretiens traduits de l’arabe par Elias Sanbar et de l’hébreu par Simone Bitton, Arles, Actes Sud, 2002.

[2] Et l’auteur de poursuivre : « Le dépassement de cette double aporie peut advenir par une double reconnaissance : celle de l’importance décisive de l’exil dans l’histoire juive et celle de la responsabilité israélienne dans l’exil palestinien. » Carlo Ginzburg, « Préface », in : Amnon Raz-Krakotzkin, Exil et souveraineté, Judaïsme, sionisme et pensée binationale, Paris, La fabrique éditions, 2007, p. 8.

[3] Mots de la poétesse et romancière Heba Abu Nada, 32 ans, autrice du roman L’oxygène n’est pas pour les morts (2017). Ils ont été écrits deux jours avant sa mort le 20 octobre 2023 dans les bombardements israéliens à Khan Yunis, Gaza.

[4] Sur le 7-Octobre, sa qualification, le caractère biface du piège tendu par le Hamas, ou encore la guerre, je renvoie à l’article  « Faire date autrement. “ Il est politique d’ôter à la haine son éternité.”» (Lundimatin, 26 novembre 2023) et à l’entretien « Si la guerre est sans but, elle est nécessairement sans fin » (Mediapart, 20 mars 2024).

[5] Sur la résolution votée par le Bundestag « Plus jamais ça, c’est maintenant ! Protéger, préserver et renforcer la vie juive en Allemagne » censurant toute parole critique à l’endroit d’Israël, nous renvoyons à l’excellent article de l’historien de l’Allemagne, Thomas Serrier, « Malaise dans la culture mémorielle allemande », AOC media, 5 décembre 2024. Cette résolution, accueillie à bras ouverts par l’extrême droit allemande, n’identifie qu’un seul type d’antisémitisme. C’est celui « de l’immigration des pays d’Afrique du Nord et du Proche et Moyen Orient, pays où l’antisémitisme et la haine d’Israël sont largement répandus, en raison notamment de l’endoctrinement islamique et anti-israélien d’État. » Faisons ici l’hypothèse que les extrêmes droites européennes, avant d’être les amies des Juifs, sont celles d’Israël. (L’Allemagne

Catherine Hass

Anthropologue, Chercheuse associée au LIER-FYT (EHESS) et chargée de cours à Sciences po Paris

Notes

[1] Mahmoud Darwich, La Palestine comme métaphore, entretiens traduits de l’arabe par Elias Sanbar et de l’hébreu par Simone Bitton, Arles, Actes Sud, 2002.

[2] Et l’auteur de poursuivre : « Le dépassement de cette double aporie peut advenir par une double reconnaissance : celle de l’importance décisive de l’exil dans l’histoire juive et celle de la responsabilité israélienne dans l’exil palestinien. » Carlo Ginzburg, « Préface », in : Amnon Raz-Krakotzkin, Exil et souveraineté, Judaïsme, sionisme et pensée binationale, Paris, La fabrique éditions, 2007, p. 8.

[3] Mots de la poétesse et romancière Heba Abu Nada, 32 ans, autrice du roman L’oxygène n’est pas pour les morts (2017). Ils ont été écrits deux jours avant sa mort le 20 octobre 2023 dans les bombardements israéliens à Khan Yunis, Gaza.

[4] Sur le 7-Octobre, sa qualification, le caractère biface du piège tendu par le Hamas, ou encore la guerre, je renvoie à l’article  « Faire date autrement. “ Il est politique d’ôter à la haine son éternité.”» (Lundimatin, 26 novembre 2023) et à l’entretien « Si la guerre est sans but, elle est nécessairement sans fin » (Mediapart, 20 mars 2024).

[5] Sur la résolution votée par le Bundestag « Plus jamais ça, c’est maintenant ! Protéger, préserver et renforcer la vie juive en Allemagne » censurant toute parole critique à l’endroit d’Israël, nous renvoyons à l’excellent article de l’historien de l’Allemagne, Thomas Serrier, « Malaise dans la culture mémorielle allemande », AOC media, 5 décembre 2024. Cette résolution, accueillie à bras ouverts par l’extrême droit allemande, n’identifie qu’un seul type d’antisémitisme. C’est celui « de l’immigration des pays d’Afrique du Nord et du Proche et Moyen Orient, pays où l’antisémitisme et la haine d’Israël sont largement répandus, en raison notamment de l’endoctrinement islamique et anti-israélien d’État. » Faisons ici l’hypothèse que les extrêmes droites européennes, avant d’être les amies des Juifs, sont celles d’Israël. (L’Allemagne