Europe

L’Europe, continent philosophique

Philosophe

Dire de l’Europe qu’elle est un continent philosophique, ce n’est pas uniquement rappeler qu’elle a vu naître ce que nous nous sommes habitués à appeler « philosophie », c’est aussi reconnaître une nécessité vitale de se constituer à l’aide de la pensée. Face aux crises économiques, politiques et institutionnelles qu’elle traverse, l’Europe doit se rappeler ses origines philosophiques pour survivre, et indiquer une alternative viable à la mondialisation actuelle.

Quel sens y a-t-il, dans un moment dramatique pour le destin de l’Union européenne, à convoquer la philosophie ? Comment son langage séculaire peut-il interpréter les dynamiques contemporaines, qui semblent dépasser toutes les limites de la raison ?

La première réponse que je donnerais à cette question est que, face à des événements qui vont au-delà du plan des choix économiques et des arrangements institutionnels, et impliquent une véritable décision existentielle – celle de l’Europe en tant que sujet politique – la pensée ne peut pas ne pas être interpellée. Mais une réponse encore plus intrinsèque porte sur le caractère en quelque sorte philosophique de l’Europe elle-même. Comment définir un continent « philosophique » ? Je ne parle pas seulement du fait que ce que nous sommes habitués à nommer « philosophie » depuis plus de deux mille ans est né et s’est développé principalement en Europe. Mais aussi au fait que l’Europe elle-même s’est constituée dans un rapport nécessaire avec la dimension de la pensée.

Pour saisir ce nœud, il faut partir d’un manque. De ce que l’Europe n’est pas et n’a jamais été. Contrairement aux autres continents, l’Europe n’est pas limitée par des éléments géographiques stables : mers, rivières, montagnes. Elle n’a pas de frontières solides, du moins à l’Est, à l’inverse de l’Afrique, de l’Amérique ou de l’Océanie. Sa distinction d’avec l’Asie est problématique au point qu’au moins deux grands pays, la Russie et la Turquie, ont toujours été en équilibre entre les deux continents et ce qu’ils ont signifié dans l’histoire mondiale.

Mais ceci – cette contiguïté spatiale avec l’Asie – plutôt que d’entrainer une assimilation à son monde, a constitué un élément de distinction, voire de contraste, qui a été décisif pour la conscience de soi de l’Europe. Si l’on veut délimiter le moment de sa genèse, il faut le repérer dans les guerres des villes grecques contre l’empire perse. Comme Hegel l’a soutenu, lors de cet affrontement l’Occident


Roberto Esposito

Philosophe , Professeur de philosophie à l'Ecole Normale Supérieure de Pise