Quand fragmentation d’Internet rime avec profits
Les prises de parole mettant en garde contre une possible fragmentation d’Internet se sont multipliées ces dernières années. Des États autoritaires – comme la Russie, la Chine et l’Iran – tentent de longue date de couper leurs citoyens d’un accès à l’Internet mondial, ou de le réduire fortement. Récemment, des États démocratiques ont également adopté des mesures qui reviennent techniquement à la même chose, quoique pour des motivations diverses. C’est ainsi que la France a coupé l’accès à TikTok en Nouvelle-Calédonie en mai 2024, et que, plus tard dans l’année, la Cour suprême fédérale du Brésil a ordonné le blocage de X (ex-Twitter) dans le pays.
Internet est-il donc vraiment menacé d’explosion ? Dans un récent ouvrage intitulé L’avenir d’Internet : unité ou fragmentation ?, nous tentons de répondre à cette question d’actualité en nous appuyant sur des travaux récents, qui analysent l’effet de certaines pressions économiques et politiques sur la survie de l’unité d’Internet. Alors qu’à l’origine, Internet devait se construire sur un modèle distribué, sans centre (le fameux modèle de la Toile), sa structure s’est modifiée progressivement pour ressembler de plus en plus à une constellation d’étoiles. Autrement dit, des ensembles construits autour de nœuds centraux cohabitent toujours, mais sont de moins en moins bien reliés entre eux. Si aujourd’hui Internet reste encore un espace public transnational à peu près uni sur le plan technique, nous observons dans le même temps l’émergence d’un nombre croissant de blocs nationaux et de silos commerciaux, certains explicites, mais d’autres beaucoup moins visibles, voire inconnus.
Le rôle des États est le plus souvent pointé du doigt lorsque l’on évoque ces risques de fragmentation. Ainsi de nombreux articles de presse se sont fait le relais de telles craintes depuis 2022, année marquée par l’offensive militaire d’ampleur menée par la Russie en Ukraine, et le ravivement des rivalités géopolitiques autour du détroit de Taïwa