Écologie

Au bord de l’innommable : l’humanité à l’épreuve de la Terre

Socio-anthropologue

Le récent drame à Mayotte n’est pas un événement isolé, mais l’énième symptôme d’un monde en mutation sous l’influence des activités humaines. Les interactions écosystémiques, avec des phénomènes rétroactifs multiscalaires et aux temporalités disjointes, sont incompréhensibles à la pensée linéaire classique. Il est urgent, donc, d’accepter l’incertitude et de réinventer la place de l’homme dans un monde vivant et changeant.

Nous sommes au bord de l’innommable. Les crises contemporaines ne se présentent plus comme une suite d’événements isolés, mais forment un enchevêtrement complexe, une hypercriticité, notion développée par Francis Chateauraynaud, où tout se répond, interagit, rétroagit et s’amplifie. Les conséquences de nos activités humaines ne s’arrêtent plus à un effet direct et prévisible. Elles déclenchent des réactions en chaîne, bouleversant l’ensemble des écosystèmes naturels, sociaux et politiques.

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Ce réseau d’interactions dépasse notre capacité d’analyse linéaire, chamboule nos repères et remet en cause les fondements mêmes de la pensée moderne. Comme le suggère Roberto Calasso dans L’Innommable actuel[1], ces phénomènes appellent une autre forme de compréhension, moins rationnelle, plus sensible et émotionnelle, qui reconnaît l’effondrement des distinctions traditionnelles entre le local et le global, l’humain et le non-humain, le présent et le passé et qui fait fi des chronologies.

Une cascade de bouleversements

Prenons l’exemple de l’élévation du niveau des mers. Ce phénomène, conséquence directe du réchauffement climatique, est aussi le produit d’une multitude de mécanismes interconnectés. La fonte des glaciers et des calottes polaires injecte des milliards de tonnes d’eau douce dans les océans. Parallèlement, la dilatation thermique des eaux marines contribue à leur montée. Mais cette dynamique va bien au-delà des chiffres et des mesures. Les populations littorales, souvent parmi les plus vulnérables, voient leurs terres englouties ou salinisées, rendant l’agriculture impossible. Jakarta, par exemple, subit à la fois l’élévation des eaux et l’affaissement de ses sols, contraignant le gouvernement indonésien à déplacer la capitale. Les migrations climatiques qui en découlent, bien loin de se limiter à des flux locaux, engendrent des tensions géopolitiques mondiales.

Ces bouleversements ne s’arrêtent pas là. L’érosion côtière, exacerbée par des tempêtes plus fr


[1] Roberto Calasso, L’Innommable actuel, traduit de l’italien par Jean-Paul Manganaro, Gallimard, 2019.

[2] Joëlle Zask, Quand la forêt brûle. Penser la nouvelle catastrophe écologique, Premier Parallèle, 2019.

[3] François Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Le Seuil, 2003.

[4] Dipesh Chakrabarty, Après le changement climatique, penser l’histoire, traduit de l’anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat et Aude de Saint Loup, Gallimard, 2023.

Bernard Kalaora

Socio-anthropologue, Chercheur à l'IIAC (CNRS, EHESS), ancien président de l’association LITTOCEAN

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Notes

[1] Roberto Calasso, L’Innommable actuel, traduit de l’italien par Jean-Paul Manganaro, Gallimard, 2019.

[2] Joëlle Zask, Quand la forêt brûle. Penser la nouvelle catastrophe écologique, Premier Parallèle, 2019.

[3] François Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Le Seuil, 2003.

[4] Dipesh Chakrabarty, Après le changement climatique, penser l’histoire, traduit de l’anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat et Aude de Saint Loup, Gallimard, 2023.