Marseille, l’esclavage en Méditerranée et l’identité française
Lorsque deux immeubles de la rue d’Aubagne, dans le centre-ville de Marseille, se sont effondrés en tuant huit personnes le lundi 5 novembre 2018 au matin, j’étais assise à une table en verre en train de regarder les toits de tuiles oranges qui montent jusqu’à Notre-Dame de la Garde et se fondent dans cette tache bleutée qu’est la mer Méditerranée. L’appartement que j’avais loué lors de mon année sabbatique aurait pu se situer dans un autre monde. En réalité, il n’était qu’à quelques rues des lieux du drame. Le lendemain, j’emmenais mon fils de huit ans à son entraînement de football et, sur le trajet vers la station de métro, nous avons dépassé des véhicules d’urgence, vu un mémorial improvisé dédié aux victimes, puis entraperçu les décombres où les cadavres reposaient encore.
Lorsque je découvris Marseille, à l’époque où je commençais ma thèse, on me disait déjà : « Marseille, ce n’est pas la France. » Les réactions nationales et internationales à la tragédie de la rue d’Aubagne ont en grande partie suivi ce raisonnement – selon lequel la présence de logements dangereusement insalubres continue d’alimenter l’idée que la deuxième ville de France ne fait pas vraiment partie de ce pays. Bien entendu, Marseille s’est durant des siècles réjouie de sa réputation de métropole indisciplinée habitée par une population diverse. Mais depuis à peu près aussi longtemps, Marseille est la tête de pont de la France vers la Méditerranée. Mes recherches montrent que cette ville a joué un rôle – sous-estimé – dans le devenir du pays aux XVIIe et XVIIIe siècles, dans la mesure où elle était le point d’entrée pour les esclaves musulmans et les captifs chrétiens rachetés de l’Afrique du Nord.
Peu après le mariage de Louis XIV et le début de son règne personnel, le roi conquit symboliquement la ville : il entra par une brèche dans les remparts, ordonna la construction de forts à l’entrée du port et fit tourner les canons vers l’intérieur. Dès lors, Marseille devint un port fr