La colonisation a eu lieu
Le 1er octobre 1945, Maurice Merleau-Ponty publie, dans le premier numéro de la revue Les Temps modernes, un article intitulé « La guerre a eu lieu ». Comme s’il y avait besoin de rappeler, de marteler encore et toujours l’évidence de l’événement, quelques mois à peine après l’armistice.

« La guerre a eu lieu. » En français, le choix d’un temps composé indique l’aspect accompli de l’action qu’on décrit. Par opposition à l’inaccompli qui décrit une action en train de se produire, dans le processus de son déroulement (la guerre a lieu, avait lieu, aura lieu…), l’accompli (la guerre a eu lieu) indique que l’événement est fini.
Les armes se sont tues, mais on ne peut pas faire comme si elles n’avaient pas tonné. Pourquoi, alors, rappeler que « la guerre a eu lieu », ce que nul ne peut ignorer ? Il y a, d’une part, la volonté de tourner la page : la guerre ne peut pas se perpétuer toujours et les pays, persister dans la rancœur, le ressentiment et l’esprit de vengeance. Mais il y a, d’autre part, la nécessité de tirer les leçons. L’histoire pèse si lourd sur nos épaules que nous pouvons toujours désirer en secouer le joug, être tentés de nous dispenser de méditer le sens des événements passés.
De même, aujourd’hui, en France, il paraît nécessaire de redire que des guerres ont lieu, à l’inaccompli : entre la Russie et l’Ukraine, entre Israël et la Palestine. Il paraît également nécessaire de redire que la colonisation a eu lieu. Manière, ici, de rappeler l’indéniable du fait, tout en faisant le choix de l’aspect accompli, qui a son importance. Le temps des colonies est du passé, mais la colonisation a eu lieu et on ne peut pas faire comme si elle ne s’était pas produite.
La grande différence entre la guerre et la colonisation est que la première est assez généralement conspuée par les peuples démocratiques contemporains – nous ne croyons plus guère aux guerres « justes » ou « courtes » –, mais que la seconde reste l’objet d’une évaluation nostalgique : une grand