Littérature

Comment ça va avec la douleur ? – sur Drama Doll de Rose Vidal

Critique

La souffrance est-elle une mémoire ? Peut-on vivre sans elle ? Les membres fantômes appartiennent-ils à un corps fantôme ? Quel rapport entre l’amour et l’addiction ? Y a-t-il un boomer dans la salle ? Le premier roman de Rose Vidal, 27 ans, explose les cadres et chante le futur d’une génération qui ne veut plus pâtir d’un « trop-plein d’histoire ».

«Emmanuelle, je l’aime beaucoup. Je l’aimais beaucoup avant de découvrir que je l’aimerais encore plus ». Dès la première phrase de son premier roman, Rose Vidal réussit à détraquer la catégorie du temps, inventant à peu près un irréel du futur collé au présent et au passé, tout en un, perpetuum mobile dans le continuum.

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Cette indécidabilité se poursuit au paragraphe suivant : « Je l’ai aimée dans la dette qu’elle m’a donnée (je crois qu’on peut donner des dettes, et même que certaines sont des cadeaux) ». On pourra penser au ruban de Möbius ou tenter une explication phénoménologique : pour toucher quelque chose il faut être deux et, quand je prends la main de quelqu’un·e, ma main naît à la sienne et vice-versa, elles ne font pas qu’une, mais autre chose de neuf, une rencontre. Par exemple : « Rome outil est le stéthoscope par lequel j’entends dans ton dos une arythmie étrange ».

Emmanuelle n’est pas exactement le sujet de Drama Doll, pas plus que le titre ne désigne vraiment le contenu du livre, puisqu’il n’y a ici ni poupée de cire ni de son et encore moins de « drama » au sens usité de drama queen : quelqu’un·e qui « en fait des tonnes » ou qui dramatise n’importe quel incident inutile de la vie (à ne pas confondre avec l’attention whore qui est un cran au-dessus, un peu comme votre mère). Le sujet, c’est (ou c’était, au départ) une enquête sur la douleur et les antidouleurs, avec au milieu le Dr Nicolas Danziger, neurologue auteur en 2010 d’un Vivre sans la douleur ? titre plus engageant que celui du documentaire de Raymond Depardon en 1996 : Afriques : Comment ça va avec la douleur ? Cette question est, comme on sait, une simple salutation polie dans certains pays africains : aucune malédiction sadique là-dedans.

Le titre Drama Doll est quant à lui une paronomase avec « Tramadol », médicament opiacé couramment prescrit. S’il y a donc du drama ici, une façon d’en faire beaucoup ou trop, c’est peut-être au sens rhizomatique, dans l’extension des indic


[1] David Hume, « De la norme du goût », in Essais esthétiques, trad. Renée Bouveresse, GF Flammarion, 20000.

Éric Loret

Critique, Journaliste

Notes

[1] David Hume, « De la norme du goût », in Essais esthétiques, trad. Renée Bouveresse, GF Flammarion, 20000.