Littérature

Une drogue allemande – sur Les Enfants de Nobodaddy d’Arno Schmidt

Écrivain

Pour la première fois en France, la trilogie d’Arno Schmidt Les Enfants de Nobodaddy est publiée dans un seul volume. À la fois chronique de l’Allemagne nazie, récit des années d’après-guerre et roman futuriste, c’est surtout une fresque stylistique addictive qui nous est donnée à consommer, constituant une formidable porte d’entrée dans l’œuvre d’un monument trop méconnu de la littérature allemande.

En voyant paraître aujourd’hui Les Enfants de Nobodaddy, la formidable trilogie d’Arno Schmidt qui regroupe Scènes de la vie d’un faune (1953), Brand’s Haide (1951) et Miroirs noirs (1951), ce sont des souvenirs personnels qui reviennent d’abord…

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Et qui reviennent de l’Allemagne, fût-ce l’Allemagne à Paris, avec la librairie Buchladen de Montmartre, aujourd’hui fermée, mais qui fut tenue pendant plus de trente ans par l’excellente Gisela Kaufmann, déterminée et loquace, attentive et parfois bougonne, où l’on trouvait en traduction ou en version originale les livres de Hartmut Lange, par exemple, ou de Helmut Krausse, que je me souviens d’avoir achetés comme des objets un peu mystérieux, ainsi donc que les premiers volumes d’Arno Schmidt traduits chez Tristram par Claude Riehl, au début des années 2000… C’était comme le début d’une aventure, et si on se permet de l’évoquer ainsi, c’est parce qu’Arno Schmidt nous semble absolument indissociable d’une certaine idée de l’Allemagne. Il est aussi universel que radicalement local, totalement original en même temps que fondamentalement germanique, et de l’avoir rencontré d’abord par le biais de cette merveilleuse petite librairie allemande, à Paris, est plus qu’un signe.

Quelque chose en tout cas se prolonge de cette première expérience dans une seconde anecdote : vivant ensuite à Berlin, je déjeunais assez souvent au paisible café de la « Literaturhaus », sur la Fasanenstrasse, où officiait un vieux serveur en tenue, personnage énigmatique, lunatique et mal rasé, qui se moquait gentiment de mon statut de français et de mon accent assez lamentable. Un jour, alors que je devais avoir déposé sur la table un livre quelconque et pas du tout allemand, il s’adressa à moi, mystérieusement, en me demandant tout à trac : vous connaissez Arno Schmidt, n’est-ce pas ? Outre qu’on ne l’imagine pas du tout posée par un serveur français, cette question lancée sur le ton de l’évidence, presque autoritaire, signalait une espèce de


Fabrice Gabriel

Écrivain, Critique littéraire