Une contre-épopée de la modernité – à propos de Sur toute la surface de la terre de Bruno Remaury
Et si Michel Foucault s’aventurait dans la narration littéraire, quelle forme prendraient ses récits ? Car le philosophe, s’il travaille avec la pâte de la durée, et les mouvements du temps, a proposé une pensée discontinuiste de l’Histoire, à la manière de plaques tectoniques qui s’entrechoquent, se brisent et basculent d’une épistémè à l’autre. Comment faire récit, quand la perspective retenue, c’est moins la continuité d’une évolution qu’un basculement des mentalités et dans l’ordre des discours.

Sans doute l’hypothèse d’un Michel Foucault écrivain, c’est Bruno Remaury qui la dessine, en élaborant depuis maintenant cinq volumes ce qu’il appelle l’archéologie de la modernité. Le terme même d’archéologie a des affinités avec le vocabulaire de Michel Foucault et son Archéologie du savoir (1969), dessinant la géographie de l’ordre des discours et leur enchaînement systématique. De livre en livre, Bruno Remaury ne cesse, dans des architectures brisées, montant des fragments, de dire la bascule décisive de la modernité, ses effets de cassure et les ruptures des représentations.
Le basculement de la verticalité sacrée à l’horizontalité désenchantée, l’entrée dans l’ordre des choses capitalistes, l’émergence d’une temporalité tendue vers l’avenir, etc. : Bruno Remaury ausculte tour à tour les bouleversements qui conditionnent nos manières de vivre depuis la modernité. Sur toute la surface de la terre met en son centre le changement dans les modes de contact, les manières de négocier, les façons de pactiser avec l’altérité. Et la trajectoire, sinon la brisure qu’il dessine, c’est le passage d’une curiosité pour le multiple à un souci d’encadrer ou d’exorciser l’enchantement de l’altérité, pour maintenir sur elle une mainmise, où le désir de contrôle va de pair avec la peur d’être débordé, qui ne cessent de surgir : des pratiques esclavagistes aux colonisations, en passant par la spectacularisation de la différence dans les zoos humains ou les Expositions univers