Littérature

Le vaisselier des philosophes – sur L’Atelier des poussières de Marianne Alphant

critique

« Les rois ne touchent pas aux portes. Ils ne connaissent pas ce bonheur » ; ces mots de Francis Ponge éclairent parfaitement le parti pris qu’adopte Marianne Alphant dans son nouvel ouvrage, L’Atelier des poussières. L’écrivaine y interroge, avec humour et style, la vie des grands penseurs depuis leur rapport à la domesticité et à l’infime – la poussière –, montrant par là-même que les œuvres de l’esprit et le plus prosaïque peuvent faire bon ménage.

Étonnante, Marianne Alphant. De la matière, elle a choisi la manifestation la plus discrète, mais la plus irritante, la plus fine, mais la plus entêtante : la poussière. Autant dire le rien, ou le tout et son éternel retour, la chose réduite à son plus petit appareil.

publicité

À partir de ce presque-rien, elle a composé un traité éminemment personnel, qui n’est jamais tourné vers sa propre personne. Au contraire, L’Atelier des poussières est une extraordinaire chambre d’écho où se croisent la philosophie et les philosophes, les rapports sociaux et ce que jadis on appelait les « états, » des fragments d’histoire littéraire, et des objets, des objets, beaucoup d’objets.

Marianne Alphant a choisi une forme très libre et très contemporaine. De brèves séquences se suivent, sans numéro, qui semblent agencées au hasard. Rythme et composition semblent aussi peu réglées. Beaucoup de paragraphes sont réduits à une phrase ou un bout de phrase, mais beaucoup sont plus longs. En revanche il n’y a jamais de périodes comme nous apprenions à les écrire à l’école ou à les traduire en cours de latin. Faut-il y voir une adéquation entre fond et forme ? Poussières de mots, poussières de pensées ? Peut-être. Oui, sans doute. Marianne Alphant a consacré un livre à Pascal (le grand absent de cet atelier) qui a si bien saisi la main du hasard dans la pensée.

Cette irrégularité finit par former une régularité, une cadence propre au livre, cadence légère, enlevée. Marianne Alphant donne l’impression d’écrire à cloche-pied et elle y parvient parce qu’elle est souple, alerte. Elle a choisi une forme brisée qui lui évite d’être didactique alors qu’elle est très savante. Si elle est allée aux Archives pour nourrir son propos, elle le signale, mais sans s’y attarder. « Fonds Murat des Archives nationales, sous-série 31AP / 292. Maison de son altesse le prince Joachim-Napoléon Murat. Nom, fonction, salaire mensuel en trois colonnes… »

L’incise n’est pas seulement un clin d’œil qui fait du lecteur


Cécile Dutheil de la Rochère

critique, éditrice et traductrice