L’impossible possibilité de la fédération européenne : hier, aujourd’hui, demain (1/2)
Le titre que je vous ai proposé comporte l’un de ces paradoxes logiques dont une certaine tradition philosophique est coutumière. Il pourrait n’être qu’une façon de conférer à bon compte une aura spéculative à de banales considérations sur les contradictions et les conflits qui grèvent la réalisation d’un projet fédéral accompagnant les institutions politiques dont – dans des « géométries » variables – s’est progressivement dotée l’Europe supranationale surgie de la « résolution » des conflits qui l’avaient déchirée au cours du XXe siècle : les deux guerres mondiales, puis la « guerre froide ».

Ce projet reçoit bien entendu des définitions variées, voire antithétiques, il ne cesse de susciter des objections et des résistances, parfois de l’intérieur même de ses organes officiels. Il n’en est pas moins avéré, et pour beaucoup d’entre nous, comme pour une large part des citoyens européens, il bénéficie désormais d’une sorte d’évidence. Ne serait-ce que celle du fait accompli. Pourtant, tout se passe comme si sa légitimité, la certitude de son achèvement, la garantie même de sa pérennité, ne pouvaient jamais être tenues pour acquises.
En revenant, pour les besoins de cette conférence, à quelques-unes des références obligées de la « science politique » au sujet de la construction européenne et de son incarnation dans l’Union, j’ai trouvé plusieurs expressions de ce paradoxe. Par exemple celle-ci, dans le titre même de la préface rédigée par Yves Mény pour le numéro de la Revue Européenne consacré en 2016 au « Fédéralisme européen » : « L’Union européenne et le fédéralisme : Impossible ou inévitable ? ». Le contenu suggère qu’il y a impossibilité en un sens et inévitabilité en un autre, mais que comme ces deux sens sont également requis par l’histoire des institutions, la contradiction est insurmontable, bien que mouvante dans son contenu et ses effets. C’est dans les périodes de crise, ou de conflit aigu, que le paradoxe est porté à son comble, et je pourrais