De la relativité culturelle– sur le Journal de Voyage d’Einstein
Qu’écrit un scientifique de génie dans son journal intime ? Peu de pensées intimes, justement. Pourtant Einstein ne destinait pas son journal de voyage à la publication. Ces notes prises entre 1922 et 1923 à l’occasion d’une tournée au Japon qui le mène aussi à Colombo, à Shanghai, à Hong Kong, en Palestine et en Espagne, sont traduites en français et publiées ces jours-ci pour la première fois. On y lit notamment ces commentaires : « Habit japonais : on dirait un compromis entre un pénitent et un prêtre», ou encore : « Photographié pour la 10 000e fois » (Einstein est à cette date déjà une icône), ou ceci, depuis Shanghai : « Vu par la fenêtre un enterrement chinois, une affaire faisant à notre goût un effet barbare, presque comique ».
La rigueur de l’écriture reflètent le fonctionnement d’Einstein : la langue familière au savant est l’équation, laquelle ne supporte pas l’équivoque. Or le langage, et à plus forte raison lorsqu’il rapporte des impressions de voyage, n’est qu’approximation. C’est donc entre les lignes et à force d’attention que le lecteur perçoit le tempérament, les avis tranchés et l’éthique affirmée de celui qui, en 1914, fut l’un des rares Allemands à se prononcer contre la guerre. En 1922, il est pour quelques années encore pacifiste et antimilitariste, et joue le rôle d’ambassadeur d’une Europe soi-disant apaisée.
Le point de départ de cette expédition de six mois, entamée le 7 octobre 1922, est une invitation adressée au physicien par le président d’une grande maison d’édition japonaise, Kaizosha. Einstein a 43 ans et il embarque sur un paquebot à Marseille en compagnie d’Elsa, sa deuxième épouse, qui est aussi sa cousine. Il est devenu une vedette internationale : trois ans avant ce voyage, en 1919, l’astronome britannique Arthur Eddington a confirmé la validité de la théorie de la relativité générale que le savant avait découverte en 1915 (sa découverte de la relativité restreinte date de 1905). Le 9 novembre 1922, le Prix Nobel de