International

Curtis Yarvin et le grand complot

Anthropologue

Curtis Yarvin est considéré comme l’idéologue de la contre-révolution trumpiste. Le Grand Continent a publié un long entretien avec lui en avril où il est question de la pandémie du covid 19. Est-ce vraiment là, de la part de cette revue, une façon de déconstruire la théorie complotiste qu’il a ainsi l’occasion de développer ? Après avoir donné dans leurs colonnes, sans distance ni contextualisation, la parole à Peter Thiel ou Marc Andreessen, il y a de quoi s’interroger.

L’entretien donné par Curtis Yarvin au Grand Continent développe avec emphase et transparence les ressorts de la théorie complotiste sur la pandémie de Covid-19. Ce qui est effarant, c’est qu’il ne s’agit pas (ou plus) du raisonnement tordu d’un geek anarcho-libertaire mais d’une vision du monde qui inspire le vice-président des États-Unis et qui dessine une ligne de conduite pour y établir une monarchie impériale. Il convient donc de le déconstruire.

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Lorsque Curtis Yarvin dit : « Le Covid est arrivé parce que les virologues régentent la virologie », il les accuse d’avoir causé la pandémie intentionnellement ou accidentellement – sa phrase « quelqu’un a fait tomber un tube à essai » laisse planer le doute – par les recherches en gain-de-fonction sur les coronavirus de chauves-souris[1]. Cette accusation est régulière dans la virologie financée par les États-Unis : Jeffery Taubenberger fut accusé de la même façon en 2005 après avoir reconstruit le virus H1N1, qui avait causé la pandémie de grippe de 1918 ; Ron Fouchier et Yoshi Kawaoka le furent aussi en 2011 après avoir fabriqué un virus H5N1 recombiné avec le virus H1N1, qui avait causé la pandémie de grippe de 2009[2].

Ce qui est nouveau, c’est qu’en 2005 et 2011, les virologues étaient accusés de diffuser une information qui pouvait être utilisée par un « État voyou » ou un groupe terroriste, alors qu’après 2020, Peter Dazak a été accusé de sous-traiter au laboratoire de Wuhan les recherches en gain-de-fonction sur les coronavirus, parce qu’elles y coûtaient moins cher et parce qu’elles étaient interdites aux États-Unis, alors que la Chine a été déclarée « rival systémique » par la première puissance économique du monde.

J’ai montré que ces controverses dans le monde de la « santé globale » opposent deux types de pouvoir[3]. D’une part, les virologues exercent un « pouvoir cynégétique », lorsqu’ils prennent le point de vue des animaux à travers les virus qu’ils partagent avec les humains, fabriquent des


[1] Cette explication de la pandémie de Covid est présentée comme certaine sur le site de la Maison Blanche, probable sur celui de l’Académie des Sciences en France et très peu probable dans le rapport de l’Organisation mondiale de la santé en 2021.

[2] Andrew Lakoff, Planning for the Wrong Pandemic. Covid-19 and the Limits of Expert Knowledge, Cambridge, Polity Press, 2024.

[3]Frédéric Keck, Les sentinelles des pandémies. Chasseurs de virus et observateurs d’oiseaux aux frontières de la Chine, Le Seuil, 2021 ; Politique des zoonoses. Vivre avec les animaux au temps des virus pandémiques, La Découverte, 2024.

[4] Dans les Science and Technology Studies, l’anthropologue Paul Rabinow a été un des premiers à voir que le monde des start-ups de la Silicon Valley constituait dans les années 1990 une alternative radicale à celui des universités, et à diagnostiquer son tournant sécuritaire dans les années 2000 : cf. Paul Rabinow, Making PCR, A Story of Biotechnology,University of Chicago Press, 1996 ; Stephen Collier, Andrew Lakoff et Paul Rabinow, « Biosecurity: Towards an Anthropology of the Contemporary”, Anthropology Today 20 (5), 2004, p. 3-7. Il n’a pas vécu assez longtemps pour voir le visage hideux que prend ce monde dans son ralliement à l’administration Trump.

[5] Zhang Liang, The Tiananmen Papers, New York, PublicAffairs, 2001.

[6] Karl Taro Greenfeld, China Syndrome. The True Story of the 21st Century First Great Epidemic, New York, Harper Collins, 2006 (traduit en français : Le Syndrome Chinois. La Première Grande Épidémie du XXIe Siècle, Albin Michel, 2006) et T. Abraham, Twenty-First Century Plague. The Story of SARS, with a new Preface on Avian Flu, Hong Kong University Press, 2007 (première édition 2004).

Frédéric Keck

Anthropologue, Directeur de recherche au CNRS

Mots-clés

Covid-19

Notes

[1] Cette explication de la pandémie de Covid est présentée comme certaine sur le site de la Maison Blanche, probable sur celui de l’Académie des Sciences en France et très peu probable dans le rapport de l’Organisation mondiale de la santé en 2021.

[2] Andrew Lakoff, Planning for the Wrong Pandemic. Covid-19 and the Limits of Expert Knowledge, Cambridge, Polity Press, 2024.

[3]Frédéric Keck, Les sentinelles des pandémies. Chasseurs de virus et observateurs d’oiseaux aux frontières de la Chine, Le Seuil, 2021 ; Politique des zoonoses. Vivre avec les animaux au temps des virus pandémiques, La Découverte, 2024.

[4] Dans les Science and Technology Studies, l’anthropologue Paul Rabinow a été un des premiers à voir que le monde des start-ups de la Silicon Valley constituait dans les années 1990 une alternative radicale à celui des universités, et à diagnostiquer son tournant sécuritaire dans les années 2000 : cf. Paul Rabinow, Making PCR, A Story of Biotechnology,University of Chicago Press, 1996 ; Stephen Collier, Andrew Lakoff et Paul Rabinow, « Biosecurity: Towards an Anthropology of the Contemporary”, Anthropology Today 20 (5), 2004, p. 3-7. Il n’a pas vécu assez longtemps pour voir le visage hideux que prend ce monde dans son ralliement à l’administration Trump.

[5] Zhang Liang, The Tiananmen Papers, New York, PublicAffairs, 2001.

[6] Karl Taro Greenfeld, China Syndrome. The True Story of the 21st Century First Great Epidemic, New York, Harper Collins, 2006 (traduit en français : Le Syndrome Chinois. La Première Grande Épidémie du XXIe Siècle, Albin Michel, 2006) et T. Abraham, Twenty-First Century Plague. The Story of SARS, with a new Preface on Avian Flu, Hong Kong University Press, 2007 (première édition 2004).