Littérature

« Dans les pauvres chaumières pleuvent du ciel de divins esprits » – sur Le Roi Jibril. Les contes de la cité

Critique

Roman collectif imaginé par Ramsès Kefi et Rachid Laïreche, Le Roi Jibril tisse un réseau de récits où se mêlent la nostalgie des années 90, les bruissements de la rue et la quête d’amour. Le verbe y est roi et l’épopée se joue dans l’ordinaire des « quartiers », loin des grands récits héroïques mais à l’ombre protectrice des daron·nes.

C’est dans les vieux moules qu’on fait les meilleures nouveautés littéraires. On en avait eu le pressentiment en voyant Capucine et Simon Johannin ressusciter le roman picaresque pour Nino dans la nuit (Allia, 2019) puis avec le retour plus récent de la forme conte de fées. Pour ne citer que quelques titres : Aliène de Phoebe Hadjimarkos Clarke (Editions du Sous-sol, 2024), Les sentiers de neige de Kev Lambert (Le nouvel Attila, 2024) ou encore Mont des Ourses d’Emilie Devèze (Editions du sonneur, 2025), tous garnis de forêts psychiques et d’animaux qui parlent (ou presque).

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Ici, c’est « Longtemps, je me suis couché de bonne heure » + Décaméron : « Avant lundi matin, je ne me souvenais pas de mes rêves. » Voilà une première phrase qui pète, qui se mélange directement dans la tête pour produire quelque chose comme : « Longtemps, je n’ai pas rêvé de bonheur (ni de malheur, d’ailleurs) ». Jibril, le narrateur, a trente-deux ans et est « CPE dans un bahut où la vie scolaire tourne à l’envers ». On le soupçonne d’être du sud-est, puisque dès la première page il utilise le mot « minot ». Plus tard, il nous emmènera à Aubagne et Vitrolles. « Dans sa cité, on l’appelle le Roi parce que c’est lui le boss » mais rien ne laisse comprendre qu’il ait été un caïd ou quoi que soit de la sorte : on suppose assez vite que son titre monarchique tient essentiellement à sa façon de raconter les histoires : « Un conteur reste un conteur, et là-bas ils n’en avaient pas. J’ai créé le poste. »

De retour dans le tierquar de son enfance, le Roi Jibril enchaîne « les contes de la cité » en mode enchâssé, tout au long d’une seule nuit qui commence à 22h22 et finit à 7h55. Il n’y a pas mort de femme en jeu ni d’homme, même si l’on apprend qu’un des personnages « a vite compris que pour survivre dans la rue il fallait savoir raconter des histoires. » Ce qui évoque la structure du Décaméron plus que celle des Mille et une nuits, peut-être, c’est qu’un relai circule d’une histoire à l’au


Éric Loret

Critique, Journaliste