Éloge de la logodiversité – sur Les Parrhésiens de Philippe Bordas
« La seule manière de défendre la langue française, c’est de l’attaquer, mais oui Madame Straus ! Parce que son unité n’est faite que de contraires neutralisés, d’une immobilité apparente qui cache une vie vertigineuse et perpétuelle. »
(Marcel Proust, Lettre du 06 novembre 1908)
Au début de ce roman, un personnage de maigre ressource arpente Paris à vélo, stoppant pour cueillir, entre béton et bitume, les « plantes de basse sève » que personne ne regarde – herbes saxifrages dont il se nourrit. Au pied des statues des grands hommes (Balzac, Verlaine…), le Cheyenne n’achète rien et ne vole pas : il prélève aux lézardes et anfractuosités – ratures architecturales et urbanistiques –, les éléments nutritifs nécessaires à sa survie.

Le personnage-narrateur de Philippe Bordas piste cette cueillette avec grande attention pour ce qui surgit bien vivant aux défauts et aux jointures. Grandi entre des mondes qui s’ignorent et des langues incompatibles, passé d’une cité de banlieue aux beaux quartiers littéraires, à la faveur d’un franchissement de périphérique qui n’est pas raconté ici, le « Philippe » du roman n’appartient plus et n’appartient pas : logé désormais au cœur de Paris, à l’aplomb du cimetière Montparnasse, il circule entre les sphères d’action, entre les langues métissées de sa cité et la langue chaste et fade des intellectuel(le)s qu’il a séduit(e)s.
« Perdu en mer » dit-il quelque part, mais c’est faux – ou alors il faut distinguer le personnage et le livre lui-même, ou plutôt son énonciation : le narrateur trace un chenal entre les « mers linguistiques » en mêlant leurs encres, c’est son action – consistant dans la métabolisation de différents sociolectes pour la mise au point d’un tracé personnel et multicolore. Quoi qu’il en soit, aux éditions Gallimard, la sacramentelle collection « blanche » exhausse en égalisant : les lignes de Garamond noir sur crème imposent une apparence de régularité à cette écriture vagabonde et turbulente ; passeport ou fa