Littérature

Du noir dans la blanche – sur La Nuit ravagée de Jean-Baptiste Del Amo

Essayiste

Les suburbs sont depuis longtemps les théâtres privilégiés des récits horrifiques américains, tandis que les espaces périurbains français ont jusqu’ici été cantonnés à des esthétiques documentaires. La Nuit ravagée de Jean-Baptiste Del Amo s’inscrit dans le mouvement de leur défamiliarisation littéraire, en associant astucieusement les codes de l’horreur et le contexte de l’épidémie de VIH/sida des années 1990.

La fin du XXe siècle a connu un moment postmoderne : même si le terme est souvent discuté de nos jours pour décrire la situation de la littérature française, l’époque n’en a pas moins été marquée par un jeu ironique avec les formes et les motifs de la culture populaire.

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L’œuvre de Jean Echenoz, explorant tour à tour les polars, les romans d’espionnage ou de science-fiction, est souvent choisie comme emblème de ce moment. L’ironie, le grain de malice ne relèvent pourtant pas d’une distance parodique, mais, malgré un jeu affiché sur les codes, un hommage sincère à ces lectures que l’on fait à « plat ventre sur le lit » selon la belle formule de Perec.

La Nuit ravagée de Jean-Baptiste Del Amo poursuit ce sillon : c’est un hommage à la littérature d’épouvante, à la collection « Pocket Terreur », et en particulier à l’œuvre foisonnante et puissante de Stephen King. Et même si le romancier travaille les codes du roman d’épouvante, il le fait désormais sans cet écart de l’ironie, sans ce regard amusé de connivence qui caractérisait Les Grandes blondes ou Nous trois.

Il ne s’agit pourtant pas d’un pastiche de Stephen King à proprement parler, puisque si l’on reconnait dans La Nuit ravagée l’espace des suburbs qu’explore le romancier américain, si l’on accompagne comme dans Ça une petite bande d’adolescents tuant l’ennui des villes de classe moyenne, il s’agit résolument d’un roman de Del Amo, reconnaissable avec son ample phrase, puissamment organique. C’est cette alliance inédite d’une écriture au plus près du corps, dans l’ambivalence du désir et du répugnant, et d’une écriture de la terreur que l’on retrouve dans ce roman : à travers La Nuit ravagée, le roman de terreur entre par la grande porte chez Gallimard, et la contre-culture des romans de mauvais genre par la même occasion.

Au centre du roman, la force magnétique d’une maison abandonnée qui attire à elle les jeunes adolescents : comme une araignée, au centre de sa toile, elle tire les ficelles, les entra


Laurent Demanze

Essayiste, Professeur de littérature à l'Université de Grenoble