International

Comment la paix ? (2/2)

Politiste

Constater la progressive obsolescence du langage de la paix devrait alarmer sur l’hégémonie croissante de la guerre. Entre violations des règles du droit international, distorsions sémantiques et élusion de toute complexité historique, les utilisations imprécises de l’abécédaire belligène semblent désormais relever de l’évidence pour qualifier les conflits politiques, alors qu’il s’agirait au contraire de ré-attacher la guerre dans son « effet d’étrangeté » dans les mentalités.

Mais alors, comment la paix ? Si la réponse à cette question allait de soi, cela se saurait. Même Donald Trump n’est pas parvenu à régler la guerre d’Ukraine « en vingt-quatre heures », malgré ses talents de dealer, et il se voit contraint de reconnaître que Vladimir Poutine dit « beaucoup de conneries » à ce sujet, ce qui n’avait pas échappé à tout le monde. De même, Gaza n’est pas aussi facilement soluble dans un projet immobilier de Riviera qu’il ne l’avait espéré avec son gendre.

C’est que des gens aiment la guerre. Notamment les garçons qu’ont dressés à sa cruauté une socialisation, des jeux et un imaginaire martiaux. Leur virilisme peut s’épanouir au combat. Depuis le début du 20e siècle, le phénomène milicien, qui est né dans les Balkans et en Anatolie et s’est mondialisé, leur offre un cadre propice à son épanouissement. Par ailleurs, d’autres gens, qui généralement n’ont aucune intention de faire eux-mêmes la guerre, ont intérêt à celle-ci : les « marchands de canon », bien sûr, mais aussi – ne nous le dissimulons pas – les ouvriers qui les fabriquent ou les acteurs politiques dont le périmètre électoral est le conflit. De nos jours, « Bibi » Netanyahou est le parangon de ces derniers, dont la survie gouvernementale (et vraisemblablement la liberté personnelle) dépendent de la poursuite des hostilités avec les « ennemis d’Israël ». De façon générale, comme l’avait dit François Mitterrand, « le nationalisme, c’est la guerre », et tous les nationalistes en sont des fauteurs, au moins potentiels. Une bonne raison, parmi plusieurs autres, de les regarder de travers.

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Enfin, et surtout, beaucoup croient à la guerre : à sa nécessité, à son inévitabilité, voire à sa vertu, y compris, disait-on, éducative. Il a longtemps été d’usage, en France, d’en appeler, entre deux paires de gifle, à une « bonne guerre » pour remettre la jeunesse dans le droit chemin. En août 1914, l’acceptation de la guerre, sinon son désir, fut le signe de l’hégémonie de la bourgeois


[1] Sebastian Haffner, Allemagne, 1918. Une révolution trahie, Bruxelles, Complexe, 2001

[2] Jean-François Bayart, L’Énergie de l’État. Pour une sociologie historique et comparée du politique, Paris, La Découverte, 2022, pp. 391 et suiv.

[3] Victor Klemperer, LTI, la langue du IIIe Reich, Paris, Albin Michel, 1996, p. 40.

[4] Sönke Neitzel, Harald Welzer, Combattre, tuer, mourir. Procès-verbaux de récits de soldats allemands, Paris, Gallimard, 2013, notamment pp. 222 et suiv., pp. 342 et suiv. et pp. 467-468.

[5] Marc Guéniat, « Sur le conflit de Gaza, l’Unige a eu tort de vouloir censurer le syndicat étudiant », Le Temps, 3 juillet 2025.

[6] Isa Blumi, Destroying Yemen. What Chaos in Arabia Tells us about the World, Berkeley, University of California Press, 2018.

Jean-François Bayart

Politiste, Professeur à l'IHEID de Genève titulaire de la chaire Yves Oltramare "Religion et politique dans le monde contemporain"

Notes

[1] Sebastian Haffner, Allemagne, 1918. Une révolution trahie, Bruxelles, Complexe, 2001

[2] Jean-François Bayart, L’Énergie de l’État. Pour une sociologie historique et comparée du politique, Paris, La Découverte, 2022, pp. 391 et suiv.

[3] Victor Klemperer, LTI, la langue du IIIe Reich, Paris, Albin Michel, 1996, p. 40.

[4] Sönke Neitzel, Harald Welzer, Combattre, tuer, mourir. Procès-verbaux de récits de soldats allemands, Paris, Gallimard, 2013, notamment pp. 222 et suiv., pp. 342 et suiv. et pp. 467-468.

[5] Marc Guéniat, « Sur le conflit de Gaza, l’Unige a eu tort de vouloir censurer le syndicat étudiant », Le Temps, 3 juillet 2025.

[6] Isa Blumi, Destroying Yemen. What Chaos in Arabia Tells us about the World, Berkeley, University of California Press, 2018.