Economie

Quand l’information mine le capital

Professeur de littérature et médias

L’information est devenue, on le sait, la principale ressource de la nouvelle économie. Une évolution qui induit des changements profonds vers des échanges et des relations de plus en plus abstraits. Une nouvelle classe sociale apparaît, les vectoralistes, qui entraîne le capitalisme vers sa perte d’une façon bien différente de celle imaginée par Marx. Et si ce qui venait ensuite était pire ?

La plus décoiffante des voies d’approche du post-capitalisme vient du théoricien des media d’origine australienne McKenzie Wark, qui prend à contre-pied le présupposé eschatologique et messianiste animant implicitement les annonces récurrentes de la fin et du dépassement du capitalisme : et si cette « autre chose » qui  est en train d’émerger de l’auto-consumation du capitalisme, loin d’être la promesse réconfortante d’un avenir radieux, s’annonçait en réalité comme « encore pire » que ce que nous avons connu depuis deux siècles ? Elle n’en resterait pas moins « autre chose » que ce qu’on a pris l’habitude de reconnaître à travers le prisme du Capital ! Et cette « autre chose » n’en demanderait pas moins à être comprise dans ses spécificités et ses dynamiques propres, qu’il faut aller chercher, selon McKenzie Wark, du côté de ce que l’information (numérisée) fait au capitalisme, tout autant que du côté de ce que le capitalisme fait de l’information.

 

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Dans ce domaine, la cause semble aujourd’hui entendue, au grand désespoir des derniers militants naïfs de la cause perdue des « communs », qu’ils soient environnementaux, sociaux ou numériques : après quelques tâtonnements incertains, voire quelques revers initiaux dus à la puissance subversive du pair-à-pair, le capital a su reprendre la main sur le nouveau monde du numérique, célébrant à chaque mois une nouvelle augmentation de la cotation boursière des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) et autres NATU (Netflix, AirBnB, Tesla, Uber). En quelques années, le capital a su trouver le moyen de miner l’information contenue dans nos données personnelles (data mining, big data, speed trading, etc.), pour les revendre au plus offrant. Comme à chaque tour de piste antérieur – après la plantation esclavagiste, après l’industrialisation forcée, après l’usine fordiste – il a su retrouver sa belle inventivité pour extorquer de la plus-value en colonisant cette foi


* Deuxième volet d’une série d’articles proposés par AOC en prévision du prochain numéro de la revue Multitudes, « Post-capitalisme ? » (avril 2018), disponible dans certaines bonnes libraires, auprès du diffuseur Pollen ou en ligne sur Cairn. La suite de cette série d’articles s’efforcera de rouvrir des perspectives d’avenir, pour sortir de ce qui apparaît pour le moment nous faire sombrer dans une impasse commune…

[1] Voir sur ce point les travaux de Tiziana Terranova, Network Culture. Politics for the Information Age, New York, Pluto Press, 2004 ; Christian Fuchs, Digital Labour and Karl Marx, London, Routledge, 2014 ; et Antonio Casili & Dominique Cardon, Qu’est-ce que le « digital labor » ?, Paris, INA, 2015.

Yves Citton

Professeur de littérature et médias, Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, Co-directeur de la revue Multitudes

Rayonnages

Économie

Notes

* Deuxième volet d’une série d’articles proposés par AOC en prévision du prochain numéro de la revue Multitudes, « Post-capitalisme ? » (avril 2018), disponible dans certaines bonnes libraires, auprès du diffuseur Pollen ou en ligne sur Cairn. La suite de cette série d’articles s’efforcera de rouvrir des perspectives d’avenir, pour sortir de ce qui apparaît pour le moment nous faire sombrer dans une impasse commune…

[1] Voir sur ce point les travaux de Tiziana Terranova, Network Culture. Politics for the Information Age, New York, Pluto Press, 2004 ; Christian Fuchs, Digital Labour and Karl Marx, London, Routledge, 2014 ; et Antonio Casili & Dominique Cardon, Qu’est-ce que le « digital labor » ?, Paris, INA, 2015.