Éclats de chair – sur Des obus, des fesses et des prothèses d’Arno Bertina
On entre par les coulisses dans l’étrange théâtre des passions destructrices où nous convie Des obus, des fesses et des prothèses afin d’y entendre successivement quatre voix tâtonnant dans la nuit de leur cantonnement – des voix qui se révèleront susceptibles de déborder le palace tunisien converti en clinique où elles sont nées pour envahir la ville en joyeux carnaval, mais ce n’est qu’à la fin du livre qu’on assistera à cette dépense libératrice, témoignant que toujours « la vie s’obstine », et parfois l’emporte malgré ses asservissements.

C’est que le lieu est ici au sens propre déterminant. C’est lui qui tout à la fois provoque les voix et les conditionne, fonctionnant peu ou prou à la manière d’une installation dans le domaine des arts plastiques : il n’accueille pas l’intrigue ou les intrigues que trame tout roman comme un cadre narratif, mais les engendre, apportant par ce fait une nécessité intrinsèque aux quatre monologues successifs qui émergent des différents espaces de l’ancien palace à la devise tordue, « Luxe, calme et mojito ». Déserté après la chute de Ben Ali, l’hôtel dont la terrasse se prolonge jusqu’à la mer a été réquisitionné pour y soigner, d’un côté de la piscine qui n’accueille plus aucun nageur, les blessés et mutilés de la guerre qui sévit dans la Libye frontalière et, de l’autre côté, un groupe de femmes venues du Liban ou d’ailleurs s’offrir un nouveau nez ou un nouveau corps répondant mieux que l’ancien aux normes édictées sur « papier glaçant » par des magazines ayant « le cul de Kardashian » pour ligne de mire, comme diront deux des protagonistes.
Victimes de canons d’artillerie ou de canons esthétisants, les uns comme les autres se sont réveillés dans un corps « qui n’est pas le leur ». Les premiers cherchent le filet de vie qui maintient l’espoir. Les autres, qui ont transformé d’elles-mêmes leur corps en champ de bataille et pour l’heure se promènent telles des momies à bandelettes et prothèses variées, patientent le tem