Société

Laïcité : le grand malentendu

Politiste

Alors qu’elle devait servir à la formation de l’esprit critique et à la promotion de valeurs universelles, la laïcité apparaît aujourd’hui comme une réaction nostalgique d’une identité majoritaire. Notre modèle républicain, en scotomisant les appartenances, s’interdit de comprendre la construction des subjectivités. Et donc des citoyens. Revenons aux fondements philosophiques et historiques.

Comment, de principe organisant la coexistence des libertés, la laïcité est-elle devenue une valeur, laquelle serait étrangère à ceux dont la religion ou la culture ne permettraient pas d’en comprendre l’exigence ? Tout indique qu’il convient de s’inquiéter d’une puissante montée de l’intolérance par rapport à l’expression de la différence.

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Quels que soient les oripeaux dont elle se pare, notamment la nécessité de renforcer la cohésion nationale, l’intolérance des « entrepreneurs de morale[1] » est un puissant marqueur de l’évolution de l’opinion.

Cette évolution est congruente avec le fait qu’un parti d’extrême droite, qui se pose en héraut de la laïcité, et dont le programme repose sur le refus de la différence, occupe désormais une place majeure dans notre vie politique. Pour le Rassemblement national, l’étranger est supposé dénaturer nos paysages familiers, transformer nos mœurs, bref remettre en cause notre homogénéité fantasmée. Sa revendication première est de priver de droits ceux qui, par leur origine ou leur confession, sont censés menacer l’intégrité de la nation. Les bienfaits de l’État-providence ne doivent être destinés qu’au « vrai peuple », le populisme[2] procédant d’une révolte contre le partage des acquis sociaux durement obtenus sur le long terme avec de nouveaux venus, lesquels, en raison de différences non rattrapables liées à l’origine, ne les mériteraient pas.

Les affrontements sur la laïcité ne sont évidemment pas les seuls indices du rapport pathologique à l’altérité. Cependant, à de nombreux égards, ils traduisent adéquatement ce qui se joue sur d’autres terrains, notamment sur celui de la liberté d’expression, où s’affrontent, d’une part, anti-wokistes, affirmant leur désir de protéger les mœurs démocratiques contre les tentatives d’annuler les œuvres, et, d’autre part, défenseurs de la justice sociale et raciale, lesquels, non parfois sans excès (relevant du sectarisme militant), se veulent attentifs aux divers types de discrim


[1] Au sens qu’Howard Becker donnait à l’expression : groupe de personnes dont l’objectif est l’adoption ou le renforcement d’une norme.

[2] Nous utilisons ce terme ici comme synonyme de démagogie et de nativisme, nonobstant son origine historique (le People’s Party en 1891 au Kansas, mouvement progressiste de paysans et d’ouvriers).

[3] Nous mettons des guillemets à cette expression pour indiquer qu’elle exprime plus une position théorique qu’une description de la réalité.

[4] Laurent Jaffro, « La laïcité : vertu ou principe ? », The Conversation, 13 octobre 2022.

[5] Ibid.

[6] François Dubet, « La laïcité dans les mutations de l’école », in Michel Wieviorka, Une société fragmentée ?  Le multiculturalisme en débat, Paris, La Découverte, 1997, p. 83-112.

[7] Ibid., p. 111.

[8] Voir Philippe Portier, « Le tournant illibéral de la laïcité française », Le Grand Continent, 21 février 2021.

[9] Le Temps, 27 janvier 1886 (la citation figure sur un mur du Musée de l’immigration à Paris).

[10] Farhad Khosrokhavar, « L’universel abstrait, le politique et la construction de l’islamisme comme forme d’altérité », in Michel Wieviorka (dir.), op. cit., p. 117.

[11] Didier Lapeyronnie, « Quelle intégration ? », in Bernard Loche et Christophe Martin (dir.), L’insécurité dans la ville : changer de regard, Paris, L’Œil d’or, 2003, p. 96.

[12] Maurice Samuels (2016), Le droit à la différence. L’universalisme français et les juifs, Paris, La Découverte, 2022.

[13] Ibid., p. 33.

[14] Ibid., p. 22.

[15] Ibid., p. 37.

[16] Ibid., p. 38.

[17] Ibid., p. 78.

[18] Inquiétant glissement : sous la Troisième République, la morale laïque et patriotique cherchait à mobiliser contre l’ennemi extérieur. Alors qu’elle s’adressait à tous les élèves, elle ne vise aujourd’hui que ceux que l’on soupçonne de ne pas adhérer à ses valeurs.

Alain Policar

Politiste, Chercheur associé au Cevipof

Notes

[1] Au sens qu’Howard Becker donnait à l’expression : groupe de personnes dont l’objectif est l’adoption ou le renforcement d’une norme.

[2] Nous utilisons ce terme ici comme synonyme de démagogie et de nativisme, nonobstant son origine historique (le People’s Party en 1891 au Kansas, mouvement progressiste de paysans et d’ouvriers).

[3] Nous mettons des guillemets à cette expression pour indiquer qu’elle exprime plus une position théorique qu’une description de la réalité.

[4] Laurent Jaffro, « La laïcité : vertu ou principe ? », The Conversation, 13 octobre 2022.

[5] Ibid.

[6] François Dubet, « La laïcité dans les mutations de l’école », in Michel Wieviorka, Une société fragmentée ?  Le multiculturalisme en débat, Paris, La Découverte, 1997, p. 83-112.

[7] Ibid., p. 111.

[8] Voir Philippe Portier, « Le tournant illibéral de la laïcité française », Le Grand Continent, 21 février 2021.

[9] Le Temps, 27 janvier 1886 (la citation figure sur un mur du Musée de l’immigration à Paris).

[10] Farhad Khosrokhavar, « L’universel abstrait, le politique et la construction de l’islamisme comme forme d’altérité », in Michel Wieviorka (dir.), op. cit., p. 117.

[11] Didier Lapeyronnie, « Quelle intégration ? », in Bernard Loche et Christophe Martin (dir.), L’insécurité dans la ville : changer de regard, Paris, L’Œil d’or, 2003, p. 96.

[12] Maurice Samuels (2016), Le droit à la différence. L’universalisme français et les juifs, Paris, La Découverte, 2022.

[13] Ibid., p. 33.

[14] Ibid., p. 22.

[15] Ibid., p. 37.

[16] Ibid., p. 38.

[17] Ibid., p. 78.

[18] Inquiétant glissement : sous la Troisième République, la morale laïque et patriotique cherchait à mobiliser contre l’ennemi extérieur. Alors qu’elle s’adressait à tous les élèves, elle ne vise aujourd’hui que ceux que l’on soupçonne de ne pas adhérer à ses valeurs.