Or, la main dort – sur Ce qui n’était jamais arrivé d’Hélène Cixous
Le corps du texte comme texte du corps, quand les mots appellent le toucher du livre qui touchera (peut-être) le lecteur… Mais qu’advient-il du toucher de l’écrit lorsque le corps du scribe s’incomplète par la main, celle-là même qui d’ordinaire mène la danse de la vie sur la page ?

C’est « comme l’éveil de Samson rasé, vidé de lui-même. C’est la mort. Ainsi c’est la mort. C’est donc la mort. On se demandait depuis longtemps sous quelle forme elle entrerait, par quelle porte elle chargerait, le pays était tout entier en état d’alerte brute, sans information. […] Chronique des événements récents : attaque par les paupières. L’ennemi entre, de nuit, sous le plafond de l’œil vivant, vlan !, sur la gauche. Menace : l’œil gauche est celui qui lutte et répond. En cas d’annulation, reste le droit, celui qui lit à grand peine, larmoie, erre. Alerte. Mais c’est sur la main droite, la cheffe, la belle, l’artiste, que s’abat la fatalité. » Pire que le mauvais œil, la mauvaise main (c’est-à-dire la bonne : celle qui commande à l’écriture).
L’attaque, quelques dimanches avant le 16 avril 2023, ou bien un mois, selon le livre, puisque ce jour-là fut celui de « l’heure de grâce » : le 16 avril à 10 heures, « la main se leva, marcha sans raison » – à nouveau la vie revient, des pages s’écrivent. Revenance de la main, qui dès lors renonce à son rôle de spectre interdisant l’écrit, mais pour combien de temps ? C’est un sursis, le temps presse pour annoncer l’heure de grâce : le stylo court sur le papier comme Philippidès venu de Marathon apporter aux Athéniens la nouvelle de la délivrance, courant toujours déjà mort à l’instant de son arrivée, dit la légende.
Dans l’entre-temps de la main inerte, ce n’était d’ailleurs pas celle qui dit « je » dans le livre, mais « H » qui, participant à une rencontre littéraire et passant sous silence son malheur, s’est entendue répondre à une question portant sur le rêve, matière première de son écriture, comme si de rien n’était. Voilà H.
