Médias

Breitbart, Bannon, Trump et l’École de Francfort

Professeur d'études germaniques et de littérature comparée

En regardant dans le miroir de la théorie critique de l’École de Francfort, et de ses analyses de la haine raciale et de la domination médiatique, les suprématistes blancs se voient représentés tels qu’ils sont. Mais afin de préserver la légitimité de leur indignation, enracinée dans une pensée pathologique du complot, il leur faut transformer la théorie critique en ennemi intellectuel numéro un.

Si l’on veut comprendre la préhistoire de la politique des tweets de Donald Trump, il faut mettre celle-ci en relation avec la vision stratégique des médias développée par Andrew Breitbart et Stephen Bannon. C’est l’ascension de Bannon dans le cercle des conseillers proches de Donald Trump qui a suscité ma curiosité à propos du site d’informations Breitbart News, qu’il a dirigé pendant plusieurs années, et de son fondateur Andrew Breitbart. En lisant l’ouvrage de Breitbart [1] et en écumant les pages de Breitbart News, j’ai été surpris de découvrir l’obsession, aussi bien de Breitbart lui-même que de larges cercles d’Américains blancs suprématistes pour l’École de Francfort [2], devenue leur bête noire

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L’objectif déclaré de Breitbart en créant son site d’information était d’attaquer le « complexe médiatique démocrate », grâce à Internet et aux réseaux sociaux. De son côté, Bannon – inspiré par Lénine, Julius Evola (particulièrement apprécié des fascistes italiens et toujours populaire auprès des néonazis grecs et des nationalistes hongrois), ainsi que par Charles Maurras – souscrit à la thèse de Breitbart sur l’importance de la « déconstruction (oubliez le “con”) de l’État bureaucratique ». Les tweets de Trump et ses attaques régulières contre les médias, qui conduisent à remplacer de prétendues « nouvelles bidons » par des « faits alternatifs », s’accordent parfaitement à ces deux objectifs.

Nous assistons en réalité à une attaque concertée sur le quatrième pouvoir par ce que l’on peut désormais appeler le cinquième pouvoir – la politique numérique d’une droite populiste, pensée comme élément d’une stratégie revendiquée de destruction de l’État. Hannah Arendt avait raison quand elle écrivait : « le résultat d’une substitution totale et cohérente de mensonges à la vérité factuelle n’est pas que le mensonge sera dès lors accepté comme vérité et la vérité dégradée comme mensonge, mais que le sens par lequel nous nous repérons dans le monde réel […] est dét


[1] Andrew Breitbart, Righteous indignation. Excuse me while I save the world, Grand Central Publishing, 2011.

[2] L’École de Francfort désigne un courant de pensée élaboré autour de l’Institut de Recherche sociale de Francfort dans les années vingt à cinquante, faisant de la critique de l’ordre établi la raison d’être de la philosophie et des sciences sociales. Dans les années 1930 et 1940, les penseurs de l’Institut se sont réfugiés à l’université de Columbia, à New York.

[3] Hannah Arendt, « Vérité et politique » (1967), in idem, La Crise de la culture, Gallimard, « Folio essais », n° 113, 1972, p. 327-328 – traduction modifiée.

[4] Neil Howe, William Strauss, The Fourth Turning: An American Prophecy, Bantam U.S.A, 1997.

[5] Alan Bloom, The Closing the the American mind, Simon and Schuster, 1987.

[6] Op cit., p. 113.

[7] Op cit., p. 114.

[8] Alinsky, à l’origine du projet d’organisation communautaire (Community Organizing) à Chicago, est l’auteur du pamphlet Rules for Radicals (Manuel de l’animateur social, 1946, traduit en français en 1971) qui a régulièrement soulevé la colère et la jalousie passionnée de la droite radicale.

[9] Martin Jay, “Dialectic of Counter-Enlightenment: The Frankfurt School as Scapegoat of the Lunatic Fringe”, Salmagundi 168/6, Fall 2010/Winter 2011. URL : http://rigorousintuition.ca/board2/viewtopic.php?f=8&t=39179

[10] Michael Walsh, The Devil’s Pleasure Palace: The Cult of Critical Theory and the Subversion of the West, Encounter Books, 2015.

[11] En décembre 2016, Alex Ross a publié un article dans le New Yorker intitulé L’École de Francfort a vu Trump venir. En effet !

[12] Norbert Guterman, Leo Löwenthal, Prophets of Deceit, Harper and brothers publishers, 1949, p. 117.

[13] Op cit., p. 116.

[14] Op cit., p. 116.

[15] Op cit., p. 50.

[16] Op cit., p. 114.

Andreas Huyssen

Professeur d'études germaniques et de littérature comparée, Columbia University (New York)

Notes

[1] Andrew Breitbart, Righteous indignation. Excuse me while I save the world, Grand Central Publishing, 2011.

[2] L’École de Francfort désigne un courant de pensée élaboré autour de l’Institut de Recherche sociale de Francfort dans les années vingt à cinquante, faisant de la critique de l’ordre établi la raison d’être de la philosophie et des sciences sociales. Dans les années 1930 et 1940, les penseurs de l’Institut se sont réfugiés à l’université de Columbia, à New York.

[3] Hannah Arendt, « Vérité et politique » (1967), in idem, La Crise de la culture, Gallimard, « Folio essais », n° 113, 1972, p. 327-328 – traduction modifiée.

[4] Neil Howe, William Strauss, The Fourth Turning: An American Prophecy, Bantam U.S.A, 1997.

[5] Alan Bloom, The Closing the the American mind, Simon and Schuster, 1987.

[6] Op cit., p. 113.

[7] Op cit., p. 114.

[8] Alinsky, à l’origine du projet d’organisation communautaire (Community Organizing) à Chicago, est l’auteur du pamphlet Rules for Radicals (Manuel de l’animateur social, 1946, traduit en français en 1971) qui a régulièrement soulevé la colère et la jalousie passionnée de la droite radicale.

[9] Martin Jay, “Dialectic of Counter-Enlightenment: The Frankfurt School as Scapegoat of the Lunatic Fringe”, Salmagundi 168/6, Fall 2010/Winter 2011. URL : http://rigorousintuition.ca/board2/viewtopic.php?f=8&t=39179

[10] Michael Walsh, The Devil’s Pleasure Palace: The Cult of Critical Theory and the Subversion of the West, Encounter Books, 2015.

[11] En décembre 2016, Alex Ross a publié un article dans le New Yorker intitulé L’École de Francfort a vu Trump venir. En effet !

[12] Norbert Guterman, Leo Löwenthal, Prophets of Deceit, Harper and brothers publishers, 1949, p. 117.

[13] Op cit., p. 116.

[14] Op cit., p. 116.

[15] Op cit., p. 50.

[16] Op cit., p. 114.