Cinéma

Une prière laïque – sur Roubaix, une lumière d’Arnaud Desplechin

Journaliste

En signant son premier « polar », le réalisateur de Comment je me suis disputé aurait changé de registre… Tournée en territoire connu, Roubaix, une lumière se donne pourtant bien à voir comme un film d’Arnaud Desplechin. Et s’il s’enracine dans une réalité plus sociale, ce nouveau long métrage apparaît aussi sous une familière lumière lanzmanienne.

« Ici, tous les crimes, dérisoires ou tragiques, sont vrais. Victimes et coupables ont existé. L’action se déroule de nos jours. »
Incipit de Roubaix, une lumière (Oh mercy)

 

« L’action commence de nos jours à Chelmno sur Ner, Pologne. »
Première phrase de l’incipit de Shoah

 

Cela a été largement commenté, avec Roubaix, une lumière, Arnaud Desplechin a changé de registre. Terminées les fictions proliférantes sur la famille et les conquêtes féminines, finis les conflits filiaux, fratricides ou amoureux, les règlements de comptes entre proches, les histoires d’espionnage fantasmées, les puzzles temporels, les saillies burlesques, pause avec l’intime : dans Roubaix, une lumière, place au réel (ou plutôt au social, tant les affects et l’autobiographie, fût-elle fictionnée, font aussi partie du réel), au film noir, à une dramaturgie plus épurée et linéaire. Un peu comme si Desplechin avait délaissé Freud, Roth (Philip) et Marx (Groucho) pour embrasser Simenon, Aubenas (Florence) et Marx (Karl). Tout ceci est exact, et un peu inexact, ou simpliste, car malgré son changement de braquet, Roubaix, une lumière reste indubitablement et profondément un film de Desplechin. Pour s’en convaincre, il suffit peut-être de partir de son titre.

Roubaix, c’est en effet la réalité sociale la plus sombre, cette ville du Nord de la France dont chacun connaît le nom, l’existence et la réputation (à défaut d’y être allé), avec son cortège de statistiques désespérantes sur le chômage, la misère, les violences, rappelées au début du film par Louis (Antoine Reynartz), le lieutenant de police bizuth. C’est aussi un documentaire de Mosco Boucault datant de 2008, Roubaix, commissariat central (que je n’ai pas vu), dont Desplechin s’est largement inspiré, y puissant toute sa matière scénaristique et dramaturgique. Ce sont aussi les habitants de la ville, dont la plupart sont originaires d’Afrique du Nord et subsaharienne, et qui tiennent dans le film divers rôles secondaires (petites gouapes lo


Serge Kaganski

Journaliste, Critique de cinéma

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