Eric Zemmour : un discours de haine qui vient de loin
Dans Le Venin dans la plume, je propose la genèse des discours de haine qu’alimente aujourd’hui un polémiste comme Éric Zemmour et qui lui ont valu d’être condamné par la justice à plusieurs reprises. Si ce genre de discours se rencontre à toutes les époques et dans toutes les sociétés, ceux que ressasse ce journaliste relèvent d’un genre qui est né à la fin du XIXe siècle, avec la France Juive d’Édouard Drumont ; livre paru en 1886 et qui a joué un rôle fondamental dans l’émergence de l’antisémitisme comme courant constitué de la vie politique française.

Ce discours de haine a surgi à ce moment-là parce qu’il était adapté, paradoxalement, aux principes démocratiques que la IIIe République venait tout juste d’imposer. L’intégration des classes populaires au sein de l’État national a provoqué un profond bouleversement de l’espace public. La loi de 1881 sur la liberté de la presse, conjuguée aux lois scolaires de Jules Ferry, a multiplié par dix, en quelques décennies, le nombre des lecteurs des grands quotidiens. Le mot « actualité » s’impose alors dans le langage courant pour désigner les événements que les patrons de cette presse de masse placent tout en haut de l’agenda public et qui deviennent, par conséquent, des événements dont tout le monde a entendu parler. Pour intéresser les classes populaires aux péripéties de la vie politique, ces journalistes inventent une « mise en récit » inspirée de la rubrique des faits divers.
Ce point avait déjà été souligné, il y a longtemps, par Jürgen Habermas dans son fameux livre sur l’espace public. Il constatait en effet qu’à la fin du XIXe siècle, la presse européenne avait adopté le style des journaux américains, en accordant une place de plus en plus grande aux faits divers. Désormais, ajoutait-il, « la grande presse repose sur le détournement à des fins commerciales de la participation à la sphère publique de larges couches de la population » ; la mise en récit de l’actualité ayant pour but de « procurer aux masses esse