Politique

Quand l’État fait retour (1/2) : un néolibéralisme interventionniste

Anthropologue

L’État, destitué par l’économie ou les nouveaux acteurs sociaux, ne serait plus pertinent pour penser le contemporain. Il appartient à l’ancien monde assure la «doxa globaliste», contre toute évidence. Car en réalité l’État, loin d’être une question révolue et un peu vintage, fait retour, en ordre dispersé et peut-être en habits neufs.

L’État serait-il devenu obsolète, bon pour le vaste musée de la modernité politique, au côté de l’ordre westphalien ou encore du communisme ? Telle était alors la thèse de ceux qui, au début années 2000, théorisèrent la fin de toute actualité politique de l’État, quand bien même celle-ci n’a jamais cessé, la forme État demeurant à peu près partout présente, opératoire et décisionnaire[1].

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La thèse de ce que j’appelle la doxa globaliste était la suivante : les États, destitués par l’économie ou les nouveaux acteurs sociaux, ne seraient plus référents pour penser le contemporain ; la mondialisation aurait sonné le glas des grandes théories et objets du XXe siècle, disqualifiant puis dissolvant les formes étatiques antérieures ; fossoyeuse de l’ancien monde, elle plaçait ce dernier sous une ratio économiste qui, au terme d’un laisser-faire libéral porté à son apogée, aurait fini par annihiler toute capacité des États à la politique et à la décision pour s’y substituer.

La fin de la séquence antérieure, dont la scansion unanime est la fin de la guerre froide, suscita la formation de nouveaux paradigmes capables d’énoncer un récit du monde où l’État ne serait plus, en un sens, la superstructure, une fonction désormais occupée par la globalisation. Ainsi, au « monde international » sous le signe du multiple, de l’altérité, de la séparation, composé d’États, de frontières, de politiques, de souverainetés, de guerres et de paix succéda un « monde mondial » post-étatique, post-souverain, post-moderne ou pré-étatique, c’est selon, où tous les phénomènes, dynamiques, subjectivités et processus (finance, technologie, information, migrations, violence) n’auraient de rationalité que globale.

Le monde, en tant qu’objet de connaissance, était rationalisé, modélisé depuis une vaste intériorité continuée dont les noms étaient « Empire », « états de violence », « société internationale », chacune de ces totalités disposant de nouveaux sujets politiques « post-nationaux », q


[1] Je me réfère ici à un corpus composé notamment de : Antonio Negri, Michael Hardt, Empire, Paris, Exils Éditeur, 2000. Antonio Negri, Michael Hardt, Multitude. Guerre et démocratie à l’ère de l’Empire, Paris, La Découverte, 2004. Giorgio Agamben, Moyens sans fins, Paris, Rivages poche, 2002. Alain Joxe, L’Empire du chaos, Paris, La Découverte, 2002. Frédéric Gros, États de violence, Paris, Gallimard, 2006.Arjun Appadurai, Géographie de la colère, Paris, Payot, 2007. Marc Abélès, Anthropologie de la globalisation, Paris, Payot, 2008.Bertrand Badie, L’impuissance de la puissance, Paris, Fayard, 2004.

[2] Le contrat zéro heure (Zero-Hours Contract), généralisé au Royaume-Uni après la crise de 2008, est un petit miracle libéral puisqu’il permet à un employeur de se constituer une réserve de main d’œuvre hyper flexible sans contrepartie afin de l’ajuster au plus juste de son activité économique. En effet, le contrat, qui lie de façon exclusive le salarié à l’entreprise, ne comprend ni durée de travail, ni salaire minimum, l’employeur pouvant convoquer à tout moment et pour le temps souhaité (quelques heures une semaine puis rien la semaine d’après) l’employé. Ce dernier ne peut signer aucun autre contrat en parallèle car il est potentiellement mobilisable du jour au lendemain. Le salarié ne dispose pas non plus de congés payés ou d’indemnités en cas de maladie. On estime, par exemple, que les contrats zéro heure concernaient, en 2013, 90% des employés de chez McDonald’s.

[3] Ce corpus ne vise nullement l’exhaustivité mais l’actualité que les ouvrages donnaient à la question de l’État nous a suffisamment interpelée pour en rendre succinctement compte.

[4] Michel Foucault, Naissance de la biopolitique, Cours au Collège de France. 1978-1979, Paris, Gallimard/Seuil, 2004, p. 7.

[5] Michel Foucault, « La vie : l’expérience et la science », Dits et écrits, II. 1976-1988, Gallimard, p.1590-1591.

[6] Report on Social Insurance and Allied Services rédigé par l’économiste Willi

Catherine Hass

Anthropologue, Chercheuse associée au LIER-FYT (EHESS) et chargée de cours à Sciences po Paris

Rayonnages

Politique

Notes

[1] Je me réfère ici à un corpus composé notamment de : Antonio Negri, Michael Hardt, Empire, Paris, Exils Éditeur, 2000. Antonio Negri, Michael Hardt, Multitude. Guerre et démocratie à l’ère de l’Empire, Paris, La Découverte, 2004. Giorgio Agamben, Moyens sans fins, Paris, Rivages poche, 2002. Alain Joxe, L’Empire du chaos, Paris, La Découverte, 2002. Frédéric Gros, États de violence, Paris, Gallimard, 2006.Arjun Appadurai, Géographie de la colère, Paris, Payot, 2007. Marc Abélès, Anthropologie de la globalisation, Paris, Payot, 2008.Bertrand Badie, L’impuissance de la puissance, Paris, Fayard, 2004.

[2] Le contrat zéro heure (Zero-Hours Contract), généralisé au Royaume-Uni après la crise de 2008, est un petit miracle libéral puisqu’il permet à un employeur de se constituer une réserve de main d’œuvre hyper flexible sans contrepartie afin de l’ajuster au plus juste de son activité économique. En effet, le contrat, qui lie de façon exclusive le salarié à l’entreprise, ne comprend ni durée de travail, ni salaire minimum, l’employeur pouvant convoquer à tout moment et pour le temps souhaité (quelques heures une semaine puis rien la semaine d’après) l’employé. Ce dernier ne peut signer aucun autre contrat en parallèle car il est potentiellement mobilisable du jour au lendemain. Le salarié ne dispose pas non plus de congés payés ou d’indemnités en cas de maladie. On estime, par exemple, que les contrats zéro heure concernaient, en 2013, 90% des employés de chez McDonald’s.

[3] Ce corpus ne vise nullement l’exhaustivité mais l’actualité que les ouvrages donnaient à la question de l’État nous a suffisamment interpelée pour en rendre succinctement compte.

[4] Michel Foucault, Naissance de la biopolitique, Cours au Collège de France. 1978-1979, Paris, Gallimard/Seuil, 2004, p. 7.

[5] Michel Foucault, « La vie : l’expérience et la science », Dits et écrits, II. 1976-1988, Gallimard, p.1590-1591.

[6] Report on Social Insurance and Allied Services rédigé par l’économiste Willi