Musique

Mettre la douleur en mots – sur Ghosteen de Nick Cave

Écrivain

Avec Ghosteen, Nick Cave livre sans doute son album le plus abouti, déchirant malgré sa réserve, dans lequel il revient sur la mort de son fils aîné Arthur, la veille de ses quinze ans. Il nous y entraîne comme en un monde souterrain qu’il étend en autant de nappes sonores, au sein duquel les paroles seules s’offrent clairement – et reste fidèle en cela aux mots célèbres de Macbeth : Give sorrow words.

Décidément, on n’en finit jamais avec les fantômes. Et c’est heureux comme ça.

Ghosteen le rappelle à bon escient. L’album de Nick Cave est placé sous leur signe. On sait qu’en anglais ghost c’est le fantôme ou le spectre et que teen c’est l’âge de l’adolescence. Le mot va donc de soi. Accessoirement, on peut se rappeler que the Holy Ghost c’est le Saint-Esprit, celui qui ac­compagne le père et le fils, et qui s’exprime en un souffle.

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Il y a des fantômes qui nous hantent. C’est un beau verbe, hanter, qui dit la présence, l’obsession d’une présence donnée, ni la peur ni le tourment a priori. Le mot vient pour une part de l’anglais, des romans fantastiques visités par des revenants. Ainsi les fantômes habitent notre conscience, nos bi­bliothèques, nos paysages, nos cabanes aux marges des jardins. Ils sont de l’ordre de l’apparition – quelque chose (quel­qu’un) qui a disparu et qui réapparaît, au moins à sa façon. La question de leur réalité et de leur « consis­tance » est une question annexe qui n’entrave en rien la possibilité de les fréquenter.

Peu importe ici, même si parfois je le regrette, que je ne connaisse pas le solfège. Mais j’écoute beaucoup de musique, toutes sortes de musique, j’aime varier bien que je l’écoute en général en boucle en raison d’un goût prononcé pour la litanie, d’une oreille souvent distraite mais douée de mémoire. Mon fils Antoine me pourvoit régulièrement en « pépites » qu’il dégote grâce à son dis­cernement sans égal. Ce fut le cas naguère avec Ambrose Akimunsire dont la trompette astiquée de frais et les ailes de papier mâché doivent pour moitié au miracle du voyage pour moitié aux proba­bilités. Ce fut le cas encore ce mois de sep­tembre avec Daniel Erdmann (saxophone), Carlos Bica (contrebasse) et le dj Illvibe (disc-jo­ckey, prince du platinisme ou « turntablism »). I am the esca­ped One exerce une magie rare et re­prend le titre d’un poème de Pessoa, échappé de lui-même, es­pérant que son âme le laissera tranquille.

Pour


Bernard Chambaz

Écrivain, Poète

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